17.12.13

Réparation 2013

Le dernier Prix littéraire de la saison d'automne 2013 est accordé par AUDIENCE & RESONANCE au roman "Nue" de Jean-Philippe Toussaint en juste réparation du manquement collectif des jurés de la profession. Post inspiré par G.L. du N.O.*

Nue (2013) Extraits:
p. 41   Et je me rendais compte alors que j’étais en train de ressasser toujours les mêmes visions heureuses, que c’étaient toujours les mêmes imaginations estivales de Marie qui me venaient en tête, comme filtrées dans mon esprit, épurées des éléments désagréables, et rendues plus attendrissantes encore par l’éloignement temporel qu’elles commençaient à prendre depuis mon retour. Mais tout véritable amour, me disais-je, et, plus largement, tout projet, toute entreprise, fut-ce l’éclosion d’une fleur, la maturation d’un arbre ou l’accomplissement d’une œuvre, n’ayant qu’un seul objet et pour unique dessein de persévérer dans son être, n’est-il pas toujours, nécessairement, un ressassement? Et, quelques semaines plus tard, reprenant cette idée de l’amour comme ressassement ou continuelle reprise, j’aiguiserais encore un peu ma formulation, en demandant a Marie si l’amour, quand il durait, pouvait être autre chose qu’une resucée?
p. 153   Je m’étais allongé sur le lit en manteau, les mains dans les poches (on ne se refait pas), et je regardais le plafond, dans un désœuvrement semblable à celui que j’avais éprouvé à Tokyo dans les premiers temps de notre séparation. Je regardais le plafond, non pas directement, mais légèrement en biais, et cette façon particulière de regarder le plafond, avec cette imperceptible inclinaison du regard (les associations d’idées tiennent parfois à peu de choses), me rappela alors, non pas le plafond de la chambre d’hôtel de Tokyo où j’étais descendu, mais l’état d’esprit dans lequel je me trouvais à ce moment-là, pendant ces heures interminables, où je demeurais étendu sans rien faire dans cette chambre d’hôtel de Tokyo, à méditer cette vérité amère qui s’affirmait à moi chaque jour avec davantage d’acuité, que les journées sont affreusement longues et la vie dramatiquement courte.

La vérité sur Marie (2009) Extraits:
p. 44   J'étais entré dans l'immeuble, j'avais passé la porte cochère et je m'étais engagé dans les escaliers pour rejoindre Marie. La porte de l'appartement était restée ouverte sur le palier, et j'étais entré dans l'appartement, j'avais suivi le couloir sans bruit. En pénétrant dans la chambre, j'avais tout de suite remarqué la présence d'une paire de chaussures près du lit. C'était la seule trace qui demeurait de la présence de l'homme dans la pièce. Pour le reste, tout avait disparu, plus rien ne témoignait de son passage, pas le moindre vestige des soins qui lui avaient été prodigués moins de cinq minutes plus tôt, pas l'ombre d'un flacon ou d'une compresse oubliés sur le sol. Je regardais cette paire de chaussures au pied du lit, abandonnée et en désordre (l'une était droite et l'autre avait versé sur le parquet), des chaussures italiennes, allongées , élégantes, puissantes et en même temps effilées, en peau précieuse, de cuir ou de la vachette, une paire de richelieux classiques à la fois fermes et souples, sans doute très confortables, fidèles à la réputation d'excellence des chaussures italiennes dont les meilleures passent pour être de véritables gants de pied, une couleur indéfinissable, quelque chose de daim ou de chamois, les lacets très fins, durs comme du fil de pêche, l'empeigne veloutée, légèrement pelucheuse, étayée de multiples petites perforations décoratives qui soulignaient discrètement la ligne surpiquée des coutures, avec, tracée dans la doublure – la doublure neuve, qui devait encore garder une très légère odeur de cuir frais – une très discrète et quasi subliminale inscription dorée. Je regardais ces chaussures vides, abandonnées au pied du lit, c'était tout ce qui demeurait de cet homme dans la chambre. De lui, comme dans une image mythologique d'homme foudroyé, ne subsistait que ses chaussures.
p. 146   Que faisais-je là? Je n'aurais sans doute jamais dû me trouver là, la probabilité que je me rende aux courses ce jour-là à Tokyo était infime (j'étais tombé par hasard le matin sur un article du Japan Times qui annonçait la réunion), et la probabilité que Marie y soit en même temps que moi était quasiment nulle. J'étais pourtant soudain confronté à l'improviste à la présence de Marie, je l'avait aperçue moi aussi, je voyais Marie à une vingtaine de mètres de moi, immobile sur les marches de l'escalator, accompagnée d'un homme que je ne connaissais pas, un homme plus âgé qu'elle en élégant manteau sombre et écharpe de cachemire. Elle n'était pas à son bras, mais elle était avec lui, cela sautait aux yeux, elle était implicitement avec lui, elle était violemment avec lui, la minuscule distance qui les séparait était plus violente que s'ils s'étaient touchés, mais il n'y avait pas de contact entre eux, ils se frôlaient de l'épaule, un infime écart de vide demeurait entre leurs manteaux. Je regardais Marie, et je voyais bien que je n'étais plus là, que ce n'était plus moi maintenant qui était avec elle, c'était l'image de mon absence que la présence de cet homme révélait. J'avais sous les yeux une image saisissante de mon absence. C'était comme si je prenais soudain conscience visuellement que, depuis quelques jours, j'avais disparu de la vie de Marie, et que je me rendais compte qu'elle continuait à vivre quand je n'étais plus là, qu'elle vivait en mon absence – et d'autant plus intensément sans doute que je pensais à elle sans arrêt.

Faire l'amour (2002) Extraits:
p. 30  Lentement, j'étais remonté avec la bouche tout au long de son corps, m'attardant sur son ventre et sur ses seins, dépassant la fine frontière de dentelle de son soutien-gorge noir qui était resté attaché dans son dos, mais dont j'avais précautionneusement descendu les balconnets, de sorte que ses seins, délivrés du corset de dentelle, tombaient dans mes mains et se mouvaient très lentement sous mes doigts. Petit à petit, je remontais vers son visage, mes paumes glissant sur sa poitrine et ses épaules nues. D'instinct, ma bouche s'était sentie aimantée par sa bouche et l'appel des baisers, mais, au moment même où j'allais poser mes lèvres sur les siennes, je vis que sa bouche était fermée, close et butée dans une détresse muette, ses lèvres pincées qui n'attendaient nullement ma bouche, crispées dans la recherche d'un plaisir exclusivement sexuel. Et c'est alors, que, m'immobilisant et redressant la tête au-dessus de son visage dont les yeux bandés me voilaient l'expression, je vis apparaître très lentement une larme sous le mince rebord noir des lunettes des lunettes de soie lilas de la Japan Airlines, une larme immobile, à peine formée, qui tremblait tragiquement sur place, indécise, incapable de glisser davantage le long de la joue, une larme qui, à force de trembler à la frontière d'un tissu, finit par éclater sur la peau de sa joue dans un silence qui résonna dans mon esprit comme une déflagration.
J'aurais pu boire cette larme à même sa joue, me laisser tomber sur son visage et la recueillir avec la langue. J'aurais pu me jeter sur elle pour embrasser ses joues, son visage et ses tempes, arracher ses lunettes de tissu et la regarder dans les yeux, ne fût-ce qu'un instant, échanger un regard et se comprendre, communier avec elle dans cette détresse que l'exacerbation de nos sens aiguisait, j'aurais pu forcer ses lèvres avec ma langue pour lui prouver la fougue de l'élan inentamé qui me portait en elle, et nous nous serions sans doute perdus, en sueur, inconscients de nous-mêmes, dans une étreinte mouillée, salée, onctueuse, de baisers, de transpiration, de salive et de pleurs. Mais je n'ai rien fait, je ne l'ai pas embrassée, je ne l'ai pas embrassée une fois cette nuit-là, je n'ai jamais su exprimer mes sentiments. J'ai regardé la larme se dissiper sur sa joue, et j'ai fermé les yeux – en pensant que peut-être, en effet, je ne l'aimais plus.
p. 82   Nous continuions à avancer dans la foule, marchant d'un même pas, apparemment ensemble, les chaussettes en laine blanches assorties dans nos sandales avec leur identique et dérisoire liseré rouge et bleu à la cheville, mais chacun dans ses réflexions mauvaises et sa macération de l'incident. Nous ne disions rien – nous ne parlions plus. De temps à autre, furtivement, je la regardais. Peu importe qui était dans son tort, personne sans doute. Nous nous aimions, mais nous ne nous supportions plus. Il y avait ceci, maintenant, dans notre amour, que, même si nous continuions à nous faire dans l'ensemble plus de bien que de mal, le peu de mal que nous nous faisions nous était devenu insupportable.
p. 161   Cette fois-ci encore, après un bref échange en anglais avec le réceptionniste, j’entendis les sonneries se succéder dans le vide, et je m'apprêtais de nouveau à renoncer quand j'entendis décrocher. Il ne s'ensuivit aucun son, aucune voix, mais je sentais une présence au loin, j'entendais une respiration. Marie, dis-je à voix basse. Elle ne répondit pas tout de suite. Puis, dans un murmure, elle finit par me dire qu'elle dormait, c'était à peine une phrase articulée, plutôt une plainte alanguie, encore ensommeillée. De la cabine, je voyais un arrêt de bus désert. Il faisait nuit, quelques piétons passaient sur le trottoir en direction du sanctuaire Heian. Marie, qui avait reconnu ma voix, me demanda d'une voix douce quelle heure il était, et je soulevais un bras dans la pénombre de la cabine pour regarder l'heure, je lui dis qu'il était six heures moins vingt. Six heures moins vingt, répéta-t-elle. C'était une heure qui ne lui disait rien apparemment, et même qui la déconcertait, qui renforçait la légère confusion qui devait régner dans son esprit, comme si elle ne parvenait pas à établir si c'était six heures du soir ou six heures du matin, puis les choses revinrent peu à peu, et elle m'expliqua que Yamada Kenji devait venir la chercher à l'hôtel à sept heures pour dîner. Je faisais la sieste, me dit-elle, et alors je reconnus sa voix, son timbre, son intonation, l'once de sensualité et de malice qui la caractérisait. Marie, c'était Marie, elle était près de moi, j'entendais son souffle. Je ne bougeais pas dans la cabine, je ne disais rien, je l'écoutais en silence, elle s'était mise à me parler à voix basse. Elle allait bien, me disait-elle, elle était très concentrée, absorbée par le travail, ses journées étaient épuisantes, mais le montage de l'exposition était fini, je ne lui manquais pas tellement, c'était peut-être mieux pour son travail que je ne sois pas là. Oui, je crois que je suis mieux seule en ce moment, me dit-elle. Elle disait tout cela d'une voix égale et douce, légèrement ensommeillée, et je songeais que je ressentais la même chose qu'elle, finalement, que moi aussi j'étais mieux seul en ce moment, plus calme et plus apaisé, je ne pouvais que m'incliner devant la lucidité de son jugement, même si j'aurais préféré faire les mêmes constatations moi-même, car on allège toujours la cruauté d'un constat par la satisfaction d'en établir soi-même la pertinence.
Les livres de Jean-Philippe Toussaint sont tous publiés par Les Editions de Minuit

16.12.13

Allô! t'es où?

KLE 33 79, à ne pas confondre avec KEL 33 79, l'un est KLEber l'autre KELlermann. Et, évidemment, cela n'a strictement rien à voir. C'est comme 75 et 92. L'un, c'est Paris; l'autre, c'est l'autre. Trivialement, si j'ose dire, ce serait comme Schmit et Schmidt.
Moi j'aimais bien ces dénominations lettrées (téléphonique) ou chiffrées (immatriculation) qui nous donnait à voir instantanément où et donc d'une certaine manière comment et à qui on avait affaire. Pas du tout politiquement correct ce que je suis en train d'écrire, j'en suis bien conscient. Cependant, je poursuis.
Déjà, on s'évitait cet affreux et hélas immanquable «t'es où!», voire pire «t'es d'où?», préambule justifié par la nécessité pour deux êtres qui se joignent –oui, se contacter, c'est aussi se joindre– de se situer mutuellement. Nécessité impérative quasiment, on n'y échappe peu. Pour ma part, je le confesse à mon corps défendant, c'est le cas de le dire, je n'y échappe pas toujours.
C'est à l'écoute d'une émission radiophonique dominicale culturelle française ou plus exactement d'une émission dominicale sur une chaîne radiophonique culturelle, que m'est venue l'idée de ces lignes: un intervenant à moins que ce ne soit une intervenante (il y avait l'une et l'autre donc il se peut que la confusion ici surgisse) définissait ce allo-t'es-où par ce besoin irrépressible de l'Autre que notre société virtuelle et réseautée annihilait, etc etc.
Je songeais prosaïquement qu'il s'agissait plus simplement d'un besoin pragmatique voire purement technique de qualifier géographiquement et au delà, son interlocuteur; besoin qui a surgi tout simplement avec l'arrivée du mobile (téléphone portatif, portable puis transportable) et successivement, plus radicalement encore sans doute, de tous ses dérivés, succédanés et même avatars*.
Ce n'est pas une critique mais un constat: si l'on s'en tient aux seuls instruments courants on ne sait plus naturellement d'où l'on se parle et d'où l'on vient. Mais, est-ce grave?
La réponse est sans doute multipliée par le nombre croissant d'usagerset relativement stable de transportés compte tenu des accidents mortels et de la relève naturelle des générations– je ne puis que donner la mienne qui n'a donc de valeur indicative qu'à mon horizon personnel, ce qui je le reconnais limite sacrément l'ambition de ce qui veut être un blog planétaire, et son post de la même dimension.
Moi, je regrette un peu le déficit d'identification dans l'usage courant qui permettait de se relier aisément et spontanément à une strate instantanément riche d'informations – que celles-ci soient connotées ou non peu importe, cela relève (relevait) de la conscience de chacun(e).
En même temps, car mon cœur balance sinon ce serait trop simple, j'apprécie par ailleurs une certaine forme d'anonymat urbain, je le recherche même d'une certaine façon, vivant en Europe certes mais à l'étranger tout de même depuis plus de quinze ans. Choix délibéré qui entrerait en contradiction avec le sujet même que je traite ici s'il me vient à en regretter les aspects, KLE & 75. Hé bien non, ce n'est pas contradictoire. On a jamais trouvé que la verticale et l'horizontale étaient incompatibles! Ainsi pourrait-on dire que la verticale de l'identification géographique –arbre comme emplacement: domicile, bureau, café, cabine téléphonique– et l'horizontale de la communication immédiate, quasi instantanée, se combineraient harmonieusement dans l'évitement d'un questionnement autant systématique qu'ordinaire. Nous l'éviterait, je veux dire.
Vous avez tout suivi? Moi non plus.

*En réalité, je serais bien en peine de proposer là tout de suite un seul exemple d'avatar mais je compte bien sur la théorie de l'évolution, et donc j'anticipe; sans grand risque d'être plus tard démenti. L'avatar, ça viendra, forcément!

6.12.13

Héros d'Humanité



Invictus !
Le titre latin signifie « invaincu, dont on ne triomphe pas, invincible »

Depuis l’obscurité qui m’envahit,
Noire comme le royaume de l’enfer,
Je remercie les dieux quels qu’ils soient
Pour mon âme indomptable.

Dans l’étreinte féroce des circonstances,
Je n’ai ni bronché ni pleuré
Sous les coups de l’adversité.
Mon esprit est ensanglanté mais inflexible.

Au-delà de ce monde de colère et de larmes,
Ne se profile que l’horreur de la nuit.
Et pourtant face à la grande menace
Je me trouve et je reste sans peur.

Peu importe combien le voyage sera dur,
Et combien la liste des châtiments sera lourde,
Je suis le maître de mon destin,
Je suis le capitaine de mon âme.

William Ernest Henley (1849 – 1903)
Poème écrit en 1875, choisi par Nelson Mandela pour accompagner ses jours lors des vingt-huit années qu’il a passées en prison pour la cause de la Liberté en Afrique du Sud


Whitney Houston at Wembley
The Nelson Mandela 70th Birthday Tribute was a popular-music concert staged on June 11, 1988 at Wembley Stadium, London to 67 countries and 600 million people. It was also referred to as Freedomfest, Free Nelson Mandela Concert and Mandela Day.

2.12.13

Civiliser, disent-ils.

... l'homme africain n'est pas encore assez entré dans l'histoire. Dakar, 26 juillet 2007
... l'instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur. Latran, 20 décembre 2007
Un bon cru le 2007 !
Tiens, un peu de lecture...
« Le pilote de l'avion-taxi me présenta un de ses collègues yougoslaves qui transportait du fret dans l'île Dawson. il me prit à son bord. Je voulais voir le camp de concentration où étaient détenus les ministres d'Allende, mais les soldats ne me permirent pas descendre de l'appareil.
  Charley avait rapporté une anecdote sur la première prison de l'île.
  « Les pères salésiens établirent une mission sur l'île Dawson et demandèrent au gouvernement chilien de leur envoyer tous les Indiens qu'on capturait. Les pères rassemblèrent bientôt un grand nombre d'Indiens et se mirent en devoir de leur inculquer les rudiments de la civilisation. Ce régime ne convenait en aucune façon aux Indiens, et bien qu'on eût mis à leur disposition de la nourriture et des cabanes pour se loger, ils ne songeaient qu'à retourner à leur ancienne vie de nomades.
  « A l'époque dont je parle, les épidémies avaient réduit leur nombre à quelque quarante individus. Ils avaient causé bien des soucis aux pères, en tentant de s'évader, en se mutinant et en refusant de travailler. Puis, soudain, ils devinrent obéissants et tranquilles. Ces signes n'échappèrent pas aux religieux qui remarquèrent que les hommes tombaient toujours de fatigue le matin et s'endormaient pendant les heures de travail. Ils leur dressèrent des pièges et découvrirent que les Indiens sortaient dans la forêt le soir après s'être retirés dans leurs huttes. Ils essayèrent de les suivre, mais les Indiens s'en apercevaient toujours et se promenaient alors sans but dans les bois pendant des heures avant de revenir à la mission.
  « Cette situation se prolongea  pendant plusieurs mois sans que le mystère fût éclairci. Un jour, un des missionnaires, revenant d'une partie éloignée de l'île, perdit son chemin. La nuit venue, ils s'allongea pour se reposer... et entendit des voix à travers les arbres. Il s'approcha en rampant et se rendit compte qu'il avait découvert le repaire des Indiens. Il resta là tapi toute la nuit, et lorsque les Indiens s'en retournèrent accomplir leur labeur de la journée, il sortit de sa cachette. Il trouva, enfouie sous les branches, une pirogue magnifiquement construite, creusée d'une seule pièce dans un tronc d'arbre. En amincissant les parois ils l'avaient rendue assez légère pour pouvoir la déplacer, bien qu'elle fût immense. Les Indiens la tiraient jusqu'à la plage distante d'environ quatre cents mètres, et le missionnaire s’aperçut qu'ils avaient ouvert un sentier presque jusqu'au bord de l'eau.
  « Il retourna à la mission avec ces nouvelles. Les pères tinrent un conseil de guerre et décidèrent de rester aux aguets en inspectant la pirogue de temps en temps pour constater l'avancement de l'opération. Les jours passèrent, et les Indiens sans méfiance continuaient à traîner leur embarcation vers la plage. C'était un travail de longue haleine, les courtes nuits d'été ne leur permettant de gagner que quelques mètres par jour.
  «  Les prêtres devinèrent que les Indiens attendraient d'avoir passé Noël, car on leur promettait des arions supplémentaires.Alors qu'on célébrait la fête de Noël à la mission, les pères envoyèrent deux hommes munis d'un passe-partout et de journaux. Ils scièrent la pirogue par le milieu, en plaçant le papier journal sur le sol pour ramasser la sciure ; ainsi, les pauvres abrutis ne s'apercevraient de rien avant d'avoir entassé tout leur ravitaillement.
  « La grande nuit arriva, après de longs mois d'attente anxieuse. Ils se rassemblèrent tous autour de la pirogue et tentèrent de la tirer à l'eau... et elle se sépara en deux morceaux.
  « Ce fut le tour le plus vil qu'à ma connaissance on ait jamais joué à ces pauvres Indiens, rendre leur pirogue inutilisable au moment précis où elle devait les emporter loin de leur prison abhorrée. C'eût été un moindre mal si les pères avaient détruit le bateau dès sa découverte. Mais avoir permis que le ravail se poursuivît jusqu'à ce que la pirogue fût approvisionnée et halée sur la plage me frappa comme étant le summum de la cruauté.
  « Je demandai quelle fut la réaction des Indiens. On me répondit qu'ils retournèrent dans leurs cabanes et firent comme s'il ne s'était rien passé. »




En Patagonie, Bruce Chatwin, éd. Grasset Les Cahiers Rouges p.275-277

31.10.13

...et c à la fois

Dans le monde vu par le physicien Etienne Klein* voyager dans le temps relève d'une chimère: « Pour voyager dans le temps en toute sécurité il faudrait pouvoir s'assurer que le passé et le présent existent en même temps que le présent, c'est à dire que tous les moments du temps cohabitent quelque part. Or la conception ordinaire du temps exclue que des instants différents ou des moments qui ne se chevauchent pas, puissent coexister ensemble. Et c'est sans doute pourquoi, quand j'entends parler de voyager dans le temps, me revient toujours à l'esprit cette phrase d'un personnage de Beckett: "On est peut être con, mais pas au point de voyager pour le plaisir". » Fin de citation.
Conclusion, provisoire : il est tout à fait possible d'être extra-ordinaire... et con à la fois ; rien n'est perdu, il faut persister. L'homme forma le temps, il forma le mot, il forma les dieux puis dieu; l'homme formateur de toute chose. Et c'est loin d'être fini, persévérons.

*cf. post du 11/04/13, le paradis fiscal est 'fondamental'

29.10.13

suprême légèreté

Calder à la fondation Beyeler (Bâle-ch)

5.10.13

cèdre du Liban


3.10.13

le temps

« Je tombai en admiration, dans cette salle qu’Austerlitz qualifia d'idéale selon ses critères, devant la beauté frustre des lames du parquet, toutes de largeurs différentes, devant les fenêtres inhabituellement hautes, divisées chacune en cent vingt-deux carreaux de verre sertis de plomb au travers desquels, jadis, les longues lunettes avaient été pointées sur les éclipses de lune et de soleil, l'intersection des orbites d'étoiles avec la ligne du méridien, le bouillonnement de lumière des Léonides et la chevelure des comètes qui parcourent l'espace intersidéral. Austerlitz comme a son habitude prit quelques clichés, il photographia les roses immaculées de la frise florale en stuc courant au plafond mais aussi, par les carreaux, le panorama de la ville s'étendant au-delà du parc vers le nord et le nord-ouest; et, alors qu'il était encore occupé avec son appareil, il se lança à propos du temps dans un assez long commentaire dont de nombreux détails sont restés vifs à ma mémoire. Le temps, dit-il dans le cabinet aux étoiles de Greenwich, le temps était de toutes nos inventions de loin la plus artificielle et, lié aux étoiles tournant autour de leur axe, il n'était pas moins arbitraire que s'il eût été calculé à partir des cernes de croissance des arbres ou de la durée que met un calcaire à se désagréger ; sans compter que le jour solaire auquel nous nous référions ne fournissait pas de repère précis et que pour mesurer le temps il nous fallait avoir recours à un soleil moyen, imaginaire, dont la vitesse de déplacement ne varierait pas et qui dans son orbite ne serait pas incliné vers l'équateur. Si Newton a pensé, dit Austerlitz en montrant par la fenêtre, brillant dans le reste du jour, le méandre qui enserre l'île des Chiens, si Newton a réellement pensé que le temps s'écoule comme le courant de la Tamise*, où est alors son origine et dans quelle mer finit-il par se jeter ? Tout cours d'eau, nous le savons, est nécessairement bordé des deux côtés. Mais quelles seraient, à ce compte, les rives du temps ? Quelles seraient ses propriétés spécifiques correspondant approximativement à celles de l'eau, laquelle est liquide, assez lourde et transparente ? En quoi des choses plongées dans le temps se distinguent-elles de celles qui n'ont jamais été en contact avec lui ? Que signifie que nous représentions les heures diurnes et les heures nocturnes sur un même cercle ? Pourquoi, en un lieu, le temps reste-t-il éternellement immobile tandis qu'en un autre il se précipite en une fuite éperdue ? Ne pourrait-on point dire que le temps lui-même, au fil des siècle, au fil des millénaires, n'a pas été synchrone ? Finalement, il n'y a pas si longtemps que cela qu'il se trouve en expansion et se répand en tous sens. Et jusqu'aujourd'hui, la vie des hommes, dans maintes contrées de la terre, n'est-elle pas moins régie par le temps que par les conditions atmosphériques, autrement dit par une grandeur inquantifiable qui ignora la régularité linéaire, n'avance pas de manière constante mais au rythme de remous et de tourbillons, est déterminée par les engorgements et les dégorgements, revient sous une forme sans cesse autre et évolue vers qui sait où ? »

Austerlitz, de W.G.Sebald. Traduit de l'allemand par Patrick Charbonneau (Babel 2001, p 120-122)

*qui traverse aussi Reading 

23.5.13

l'aléa quantique est le tic tac de l'horloge divine

Etienne Klein, physicien (à suivre)

19.4.13

une droite mal party

On a coutume de dire que dans la plupart des mouvements de société, la France vit l'heure américaine.. avec quelques années de décalage. Il se pourrait bien que ce délai soit radicalement raccourci si l'on considère le phénomène d'intolérance nauséeuse en train de poindre au sein de la droite classique : comme l'émergence de tea party à la française...
Mais à suivre les mouvements droitistes et extrêmes droitistes dans la rue comme aux tribunes - même à courir derrière - certains représentants UMP, en nombre déjà conséquent, devraient bien réfléchir aux conséquences désastreuses qu'a eue outre-Atlantique, pour les Républicains, la contagion puis l'amalgame des tea party en leur tréfonds, et durablement. Tel ver dans son fruit mûr.
À moins d'un rapide coup d'arrêt et d'une solide reprise de cap, la droite est en effets bien mal party. Attention, danger.

12.4.13

Probité contrôlée, oui. Publicité délation, non.

Pour (tenter d')en finir au plus vite avec un sujet "hautement inflammable" ... j'en appelle aux dictionnaires: Cnrs/Cnrtl* et Littré.

PROBITÉ, subst. féminin
(Cnrs/Cnrtl)
A. − [En parlant d'une qualité morale exercée vis-à-vis d'autrui] Droiture qui porte à respecter le bien d'autrui, à observer les droits et les devoirs de la justice. Synon. droiture, honnêteté, incorruptibilité, intégrité.
B. − [En parlant d'une qualité morale exercée vis-à-vis de soi-même par rapport à qqc.] Rigueur, exactitude appliquée à serrer la vérité, la justesse au plus près. Synon. honnêteté, loyauté, rectitude. Probité d'âme, d'esprit, de la pensée; probité intellectuelle, littéraire.
SYNT. (communs à A et B). Probité absolue, exemplaire, irréprochable, sévère; réputation, vie de probité; compter sur la probité de qqn; être la probité même; la probité en personne.
Prononc. et Orth. : [pʀ ɔbite]. Étymol. Hist. 1429 «droiture, loyauté» Latin. probitas.
(Littré)
Exacte régularité à remplir tous les devoirs de la vie civile. « Celui qui dit incessamment qu'il a de l'honneur et de la probité, qu'il ne nuit à personne, qu'il consent que le mal qu'il fait aux autres lui arrive, et qui jure pour le faire croire, ne sait pas même contrefaire l'homme de bien. »[La Bruyère, V]
C'est la probité même, c'est un homme plein de probité.
SYNONYME : PROBITÉ, INTÉGRITÉ. La probité est uniquement relative aux devoirs envers autrui et aux devoirs de la vie civile. à intégrité s'attache l'idée particulière d'une pureté qui ne se laisse entamer ni corrompre.

PUBLICITÉ, subst. féminin
(Cnrs/Cnrtl)
A. − Action de rendre public. Domaine juridique: Possibilité pour le public d'assister aux audiences d'un tribunal.
B. − Caractère de ce qui est notoire, connu de tous ou au moins du plus grand nombre de personnes. Entourer qqc. de la plus grande publicité; un coup de publicité. Faire de la publicité autour de qqc.; donner de la publicité à. Diffuser une information, faire connaître à tous un événement, un fait.
C. − Action, fait de promouvoir la vente d'un produit en exerçant sur le public une influence, une action psychologique afin de créer en lui des besoins, des désirs.
Prononc. et Orth.: [pyblisite]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. « notoriété publique »

*Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales

11.4.13

le paradis fiscal est 'fondamental'

ou : de l'approfondissement du débat fondamental.
Etienne Kleinest l'invité non autorisé de AUDIENCE & RESONANCE pour sa brillante chronique faite aux Matins de France Culture et qui porte pour titre :

vide quantique et paradis fiscaux

« Je voudrais vous parler aujourd’hui du vide quantique, qui me servira ensuite de creuset métaphorique pour faire allusion – une fois n’est pas coutume – à l’actualité politique.
On définit souvent le vide comme étant ce qui reste dans un volume après qu'on en a extrait tout ce qui est possible : le volume demeure, mais il n’y a plus rien à l’intérieur ; l’espace a en quelque sorte été lavé de toute matière, on n’y trouve plus le moindre atome.
Forts de cette définition, imaginons que nous puissions retirer de l’intérieur d’une enceinte toutes les particules de matière et de lumière qu’elle contient, sans la moindre exception, et atteindre ainsi le vide parfait. Ce vide parfait se réduirait-il à de l’espace pur ? À cette question, la physique quantique répond : non, le vide n’est pas vide, il contient de l’énergie, il est même rempli de ce qu’on pourrait appeler de la matière fatiguée, de la matière « en état de veilleuse ». Car au sein de cette enceinte où nous aurions fait le vide avec la meilleure des pompes imaginables, demeureraient des particules dites « virtuelles », c’est-à-dire des particules bel et bien présentes mais qui n’existent pas réellement… Elles ne possèdent pas assez d’énergie pour pouvoir vraiment se matérialiser, elles n’ont pas l’intégralité de leur mc2 si vous préférez, elles sont en dehors de leur « couche de masse » et, de ce fait, elles ne sont pas directement observables. Elles se trouvent en situation d’hibernation, dans une sorte de sommeil ontologique ou d’ontologie endormie, je ne sais quelle est la meilleure façon de dire. Pour les faire exister vraiment, il faut leur donner l’énergie qui manque à leur pleine incarnation.
C’est ce qui se passe quand deux particules provenant d’un accélérateur de haute énergie entrent en collision. Elles offrent leur énergie au vide quantique, et du coup, les particules virtuelles qu’il contenait deviennent réelles et s’échappent hors de leur repaire (je n’ose pas dire hors de leur exil, car ce terme est désormais fiscalement connoté). Le vide soudain se réchauffe et les particules qui y étaient endormies retrouvent la vitalité qu’elles avaient dans l’univers primordial. Finalement, un grand collisionneur de particules comme le LHC n’est jamais qu’une machine servant à chauffer le vide…
Mais pour que vous compreniez mieux ce qu’est ce vide quantique qui n’est pas du tout vide mais qui est tout à fait quantique, il faut que je vous explique un peu mieux les choses.
Un système physique, par exemple une particule, se définit par un certain nombre de propriétés identiques pour tous les systèmes du même type. Ainsi, si je prends comme système un électron, je peux dire tous les électrons ont rigoureusement la même masse et la même charge électrique. Mais en plus de ces propriétés universelles, les électrons ont des propriétés qui, elles, peuvent varier de l'un à l'autre : leur énergie, pour commencer, ou bien la direction de leur spin. L'ensemble de ces quantités définit ce qu'on appelle « l’état » de la particule. On le représente par un « champ », un « champ quantique », qui est une fonction de l’espace et du temps.
Ces « champs quantiques » ont la propriété de s'étendre dans tout l'espace et surtout, ils ne peuvent pas s’annuler partout en même temps. En clair, à un instant donné, un champ quantique n’est jamais égal à zéro dans tout l’espace. Tout se passe donc comme si les champs quantiques étaient collés à l’espace, d’une façon impossible à défaire. Cela veut dire que même quand on fait le vide, ils sont encore et toujours là.
Prenons comme système un électron. La physique quantique le décrit par un champ électronique qui a la propriété, disent les équations, d'être « toujours là », même quand aucun électron n’est présent en chair et en os : il est absolument impossible de le faire disparaître, tout comme il est impossible d’extraire l’énergie qu’il contient. Dès lors, le vide ne peut plus être considéré comme ce qui reste lorsqu'on a enlevé le champ (puisque cette opération est impossible), mais comme un état particulier du champ, un état qu’on appelle l’état « fondamental » car le système ne peut pas avoir une énergie plus petite que celle qu’il possède lorsqu’il se trouve dans cet état.
Tout cela est intéressant d’un point de vue philosophique. Car s’il n'y a plus de distinction formelle entre le vide et les autres états, il devient impossible de lui donner un statut réellement à part : il n’est plus un espace pur, encore moins un néant où rien ne se passe, mais un océan rempli de particules virtuelles capables, dans certaines circonstances, d'accéder à l'existence. Le vide apparaît ainsi comme l’état de base de la matière, celui qui contient sa potentialité d’existence et dont elle émerge sans jamais couper son cordon ombilical. Matière et vide se retrouvent liés de façon insécable.
Pourquoi est-ce que je vous raconte cela ? A cause de l’actualité politique.
Parce qui si vous m’avez bien écouté, Alain, vous avez compris qu’au prix d’un petit déménagement conceptuel, ce que je viens de dire du vide quantique pourrait s’appliquer aux paradis fiscaux, dont on a trop souvent dit qu’ils étaient des trous noirs, ce qui n’est pas la meilleure comparaison : à mon avis, les paradis fiscaux, truffés d’euros virtuels jusqu’à la glotte, sont plutôt à l’économie réelle ce que le vide quantique est à la matière concrète. Je viens de vous expliquer que si on met de l’énergie dans le vide quantique, on en fait sortir des particules. Eh bien mon petit doigt me souffle que si on mettait un peu plus d’énergie à fouiller les paradis fiscaux, on pourrait en extraire des ressources en transformant des euros virtuels en euros réels. Par les temps qui courent, ce ne serait pas du luxe pour nos démocraties qui sont à la fois endettées et bafouées par les cyniques.
A propos, Alain, et pour en finir, connaissez-vous l’anagramme de « la Crise économique » ? C’est « le scénario comique »… Je ne l’aime pas beaucoup, cette anagramme, car elle contredit la réalité, qui est douloureuse pour beaucoup de gens. Et il y a des jours où elle contredit la réalité encore plus que d’habitude… »

*Etienne Klein est physicien, professeur à l'Ecole centrale à Paris et directeur du laboratoire de recherche sur les sciences de la matière au CEA (Commissariat d’Energie Atomique), docteur en philosophie des sciences, spécialiste du temps.
Il a publié plusieurs essais sur la physique et la question du temps, notamment :
- Il était sept fois la révolution. Albert Einstein et les autres…, Paris, Flammarion, 2005 ; coll. « Champs », 2007.
- Le facteur temps ne sonne jamais deux fois, Paris, Flammarion, coll. « NBS », 2007 ; coll. « Champs », 2009.
- Galilée et les Indiens. Allons-nous liquider la science ?, Paris, Flammarion, coll. « Café Voltaire », 2008.
- Discours sur l’origine de l’univers, Paris, Flammarion, coll. « NBS », 2010.
- « Anagrammes renversantes ou le sens caché du monde (avec Jacques Perry-Salkow), Paris, Flammarion, novembre 2011.

10.4.13

Parole d'Or

Il parle d'Or cet homme là, d'or et donc d'argent.
Il dit ce qui est et aussi ce qui devrait être. Or si tout le monde l'entend, personne - autour de lui - ne l'écoute : OK Filoche, c'est bon on t'a entendu, maintenant laisse-nous travailler, entre Nous !
Alors un conseil, écoutez bien Gérard Filoche ! Il passe sur les radios, les télés, la presse, les réseaux sociaux... et il parle d'Or. De la forêt entière et pas seulement de l'arbre Cahuzac qui la cache. De là où le monde est devenu fou, de qui entretient et favorise le grand écart, de comment un système abberent étrangle la réalité humaine... Et si vous ne le voyez ni ne l'écoutez, vous pouvez toujours le lire sur son blog. Extrait :
« La réaction de millions de Français à l’affaire Cahuzac, c’est que le combat contre la finance n’a pas été mené jusque là ! Ils amalgament Cahuzac et sa politique réelle, et ILS ONT RAISON. Les deux sont mêlés, et cela devrait sauter aux yeux.
Oui, il faut mettre en œuvre une politique de traque de la fraude fiscale ! Oui il faut faire une réforme fiscale ! Cahuzac avait prétendu qu’elle « était déjà faite ».
Il y a une colère parce que le gouvernement ose parler de rigueur budgétaire et faire reculer le Smic, les petites retraites, le droit du travail, et donc cède à la finance.
Chacun sait dans son for intérieur que la France n’a jamais été aussi riche et les richesses aussi mal partagées. Il y a 590 milliards d’avoirs français dans les paradis fiscaux, dont 108 milliards en Suisse, et rien n’a été fait pour aller les chercher alors qu’une volonté inouïe a été développée par Cahuzac pour traquer les « économies », les « dépenses publiques », les services publics, mais qu’il n’a évidemment pas mis pareille volonté en œuvre contre la finance et la fraude.
Le lien existe donc entre Cahuzac et la façon dont la politique qu’il défendait était perçue d’où le choc lors de la révélation de la fraude. »
Dangereusement simplificateur ? On n'a jamais tort de vouloir simplifier pour être compris. Surtout quand c'est juste.
Et vos commentaires seront toujours les bienvenus.

3.4.13

Affligeant


Trop bon trop con, dit la verve populaire. Mais comment est-ce possible?
Ou alors... et là c'est vraiment beaucoup plus grave et le pire reste à venir, même si le pire n'est jamais certain, écrivait Calderón.
En même temps, en même temps... inspiré d'expérience et de nombreux exemples, me revient à propos le mot de Corneille: Le temps est un grand maître, il règle bien des choses.
Et nos propres mémoires, ne sont-elles pas sélectives? rarement pour le meilleur.
À suivre, hélas.

*Calderón, poète et dramaturge espagnol

2.4.13

transmission prédation

« Freud cita à quatre reprises un mot de Goethe. Was du ererbt von deinen Vätern hust erwib es um es zu besitzenCe que tu as hérité de tes pères, acquiers-le pour le posséderPour en éprouver toute la jouissance, tu dois dérober ce qui est à toi. Mange entièrement ton ancêtre. Tout ce que tu as, mets la main dessus. Deviens toi-même pour jouir puisqu'en jouissant tu jouis de ta source.
Traduire, trépasser, transir.
Le problème n'est pas de transmission mais de prédation.
(…)
Nous commençons par manger nos mères dans leur ventre puis, sortis de leur sexe, criant, nous les mangeons dans leur lait. Nous dérobons leur langue à partir de leur regard, l'étalonnant à la moue de leurs lèvres. Nous inventons le sens en échangeant des sourires. S'instruire c'est sucer les os des cadavres, les trouer, souffler dans la mort.
C'est parasiter les ruines des leurres. Nous sommes tous des voleurs. Nous sommes tous des clandestins. Il n'y a pas un centimètre carré de la nature que l'homme puisse revendiquer comme un territoire attribué. Nous sommes tous fous et quand nous ne le sommes pas nous sommes imaginaires; nous vivons entourés d'hallucinations qui trompent mal la carence ou l'absence; et le sens que nous procurons à tout ce que nous pouvons vivre est ce qui reste de la face d'une mère passée dans la mort. Nous sommes tous précaires et désynchronisés; nous commençons en avance; nous mourrons tous avant de mûrir.

L'originaire est invisible.
Les vrais messages transitent dans les corps à l'insu de ceux qui les échangent. »

Ces quelques phrases sont extraites d'un magnifique texte de Pascal Quignard que la Revue de la Chartreuse a publié, il y a treize ans, sous le titre: On ne transmet que l'autre monde (Avignon, numéro spécial sur la Transmission, 20 mars 2000). Ce texte -comme la Revue?- est introuvable aujourd'hui. Nous devons à Leili Anvar de nous l'avoir publiquement donné à entendre, et personnellement transmis, qu'elle en soit ici vivement remerciée.


tendre la pomme

Au pied du Sinaï, les femmes connaissaient la magnifique histoire des débuts. La première d'entre elles avait retiré l'espère humaine du jardin enchanté de l'enfance. Ève, Havà, fait le bon geste, du bas vers le haut, en cueillant le fruit de la connaissance. Une loi opposée à celle de la gravité soulevait son bras vers le haut. Dans la nature, mis à part l'attraction terrestre, il existe une attraction inverse, qu'il faut appeler céleste. (…) Il ne s'agit pas de mesures disciplinaires, mais d'une annonce de conséquences physiques à la suite de l'irruption de la connaissance, qui n'est jamais un tort. L'ignorance est un tort. (…) Au pied du Sinaï, les femmes étaient des mères sur le sol, comme le plus sûr des nids. Elles étaient à une température d'enthousiasme, qui va au-delà de la foi et de la confiance. Les hommes passaient de l'émotion à l'essoufflement face à l'engagement demandé.
Et il dit, Erri de Luca (Gallimard, 2012)


17.3.13

France, Présidentielle 2017: Acte I

François Hollande, Président de la République, et Alain Juppé, député-maire de Bordeaux, inaugurent côte à côte le pont Chaban-Delmas à Bordeaux le samedi 16 mars 2013 : premier acte du face à face de 2017 !

16.3.13

Elégance, un pont qui porte bien son nom

le Pont-Chaban-Delmas à Bordeaux
Levée du Pont Jacques-Chaban-Delmas, passage du Belem

Plus de 100 000 personnes sur les quais de Bordeaux ce samedi.

Inauguration par le Président de la République et le Maire de Bordeaux 

Magnifique ouvrage élégance, mais exactement comme lui finalement.
Honneur à toi Jacques et reconnaissance. Ainsi tout est bien.
Et pour nous, fierté et gratitude.

élégance de l'homme
Premier Ministre (1969-1972), Président de l'Assemblée Nationale (1958-69 & 1978-88), Maire de Bordeaux (1947-1995)

élégance du politique
élégance de l'orateur
élégance du candidat
élection présidentielle, 1974
élégance du sportif
international français de rugby à XV et de tennis


élégance d'un couple
Jacques et Micheline à Ascain, mars 1993 (photo Paris Match)
élégance d'une famille
Jacques, sa soeur Nicolle Schmit, née Delmas, et leur mère à l'île d'Oléron

élégance d'un oncle
Jacques et son neveu Alain Schmit-Delmas à Ascain, septembre 1992.jpg

Chaban, l'ardeur
le courage
une vision

12.3.13

arbre intelligent, certo


Citadin catégorie FF - Fervent Forcené - durant quelques décennies, Parisien de surcroît, j'ai réalisé progressivement et à la faveur de changements de vie (que je ne vais pas aborder ici et maintenant) qu'un monde entier vivait autour de nous. Prise de conscience spectaculaire à mes yeux qui ne voyaient d'horizon qu'en l'enchevêtrement de la structure urbaine, et l'expression de sa quintessence dans les perspectives et leurs spectaculaires alignements.
Saut quantique, pour le moins, je me suis mis à l'écoute de la nature : concentrer mes sens dans l'intention d'en saisir quelques signes familiers, de les reconnaître d'une certaine manière, et au besoin m'en faire des alliés. Précisons que la découverte inopinée de la marche à pied me fut au départ d'un grande aide (merci à André Sabas, in memoriam).
Des années passent...
Souvent aujourd'hui je me trouve ainsi, en quelque point terrestre et de toute nature, touchant, humant, scrutant par l'oeil et l'oreille, vibrant intérieurement de sensations multiples et infinies. Sans en saisir aucunement le sens, ne cherchant d'ailleurs pas à y comprendre quoi que ce soit, plus sûr moyen de ne plus rien ressentir du tout. Par exemple, la simple action d'insérer verticalement la surface de mon dos, de la tête aux pieds, à la surface d'un arbre – voire de la saisir en l'embracant – m'apporte instantanément une sérénité et une vivification radicales. Je comprends que ce geste, un parmi bien d'autres, ait pu surprendre mes proches et au delà. Même sans doute davantage que les surprendre... comment en effet justifier par des mots ! Mieux, rassurer sur mon état (de santé mentale).





















Je viens d'entendre l'émission fort instructive d'une excellente radio* française sur l'intelligence des plantes ?, terme impropre manifestement qui a le tort d'assimiler si peu que ce soit humain, animal et plante. Disons cognition, avec réserves... mais le mieux est-il sans doute de réserver une petite heure tranquille à l'écoute de l'émission dans son intégralité. Je veux simplement transcrire ici un échange qui m'a semblé particulièrement signifiant. C'est Francis Hallé, un botaniste spécialiste des plantes tropicales qui parle; il est interrogé par Michel Alberganti; et c'est ensuite Hervé Poirier, rédacteur en chef de Science et Vie qui intervient :
F.H. Ce qui m'intéresse le plus dans les plantes c'est leur altérité par rapport à l'être humain et à l'animal, c'est ce qu'elles ont d’irremplaçable. Donc, utiliser des mots de l'être humain pour en parler leur faire perdre de l'altérité.
M.A. Comment définiriez-vous cette altérité, quelles sont les différences entre ces différents mondes ?
F.H. C'est totalement autre par rapport à nous. Comprenez bien que entre une plante et moi, il y a énormément de choses en commun : nous sommes faits de cellules l'un et l'autre, la méiose, la mitose, la fécondation, l'embryologie, etc... tout ça, c'est commun. Nous sommes assez proches finalement mais ce qui m'intéresse, c'est l'altérité, c'est à dire ce qui nous sépare : par exemple l'extraordinaire sensibilité aux marées, aux attractions des astres, aux ondes sismiques... Ce sont des choses que nous, nous ne savons pas faire. C'est pourquoi en prêtant de l'intelligence aux plantes, soit un caractère qui est le nôtre, nous les rabaissons. Elles méritent mieux que ça !
M.A. – Alors Hervé Poirier, c'est une attaque frontale !
H.P. – Je suis très sensible à la volonté de Mr Francis Hallé d'avoir une pensée spécifique sur le végétal - nous employons le terme intelligence au sens d'intelligence artificielle, rien à voir avec le cerveau bien entendu - et surtout à cet argument très simple qu'il développe, à savoir que la plante est fixe. La fixité est un redoutable défi et pouvoir bouger est une formidable ruse de la stupidité : il y a un problème, je m'en vais... Ne pas pouvoir bouger, c'est devoir faire face ! Et devoir faire face, c'est obligatoirement avoir en soi les ressorts pour toute une complexité de réponses parce que... je ne peux pas m'en aller. Cela peut expliquer en partie notre surprise que le riz ait beaucoup plus de gènes que l'homme. Découverte qui a été une humiliation insupportable ! mais le riz, lui, il ne peut pas fuir !
Bon, à méditer. Voilà.

"Il savait voir l'arbre", disait Péguy à propos de Victor Hugo

Les plantes possèdent-elles une véritable intelligence ? (Science Publique, France Culture, en partenariat avec le magazine Science et Vie qui publie ce mois-ci un dossier sur ce sujet)


Cactus COBALT123 © LICENCE CC VIA FLICKR

11.1.13

service public

Recommandation: pour toutes celles et ceux qui, comme moi, ne comprennent pas grand chose à la PMA (Procréation Médicale Assistée) et surtout veulent pouvoir se faire une idée "en amont" du Débat public (anti/pro/manif/etc) prenez à peine une heure de votre temps et les Matins de France Culture de ce jour! Invité, le professeur René Frydman le meilleur spécialiste de la question sur laquelle il travaille depuis plus de 30 ans (Fécondation in vitro, premier "bébé éprouvette"). Un discours clair, didactique, autorisé et compréhensible. En tant qu'auditeur, je me sentais respecté dans mes opinions (non opinion en l'occurrence, par défaut) et à présent j'y vois un peu plus clair... C'est ici sur le site de Radio France à sa page du jour.

Et en passant, bonne année 13 à tous !

7.1.13

monnaie de singe?


PAN TROGLODYTES
« Je m'installe dans le hamac, mon verre à la main, je sirote mon Coca-Cola light à l'aide d'une paille, et je me complais dans la contemplation des humains. Je les regarde. Ils sont nombreux et pourtant ils sont seuls. Ils s'assoient sur des chaises. Ils posent leurs mains à plat sur leurs genoux. Ils s'entourent d'objets : bouilloire, théière, cuillère, tapis, télévision, tableaux accrochés sur les murs. Ils sont attachés au décorum. Ils sont propres. Certains plus que d'autres, si j'en juge par ce que j'ai observé les rares fois où il m'a été donné de visiter des intérieurs différents de celui où l'on me fait habiter. Les humains sont doués pour l'absence : ils disent Untel est triste, mais Untel n'est plus là. Ils disent Un jour, j'aurai du temps, mais le temps n'est pas là. Ils présument de tout. Les humains disent Ma maison. Ils disent J'ai un jardin. Ils disent Ma famille, mes amis. Ils disent Les gens, ils disent Le monde. Les humains disent Mon singe en me montrant du doigt. Il dit J'ai acheté mon singe en Afrique. Il dit Je recrute mes hommes moi-même. Il dit J'ai rencontré ma femme à Cuba en 1972 et j'ai tout de suite su que c'était elle. Il dit Mon argent, Mon singe, Mes hommes, Ma femme, Ma business.
Les humains sont seuls. Malgré la pluie, malgré les animaux, malgré les fleuves et les arbres et le ciel et malgré le feu. Les humains restent au seuil. Ils ont reçu la pure verticalité en présent, et pourtant ils vont, leur existence durant, courbés sous un invisible poids. Quelque chose les affaisse. Il pleut : voilà qu'ils courent. Ils espèrent les dieux et cependant ne voient pas les yeux des bêtes tournés vers eux. Ils n'entendent pas notre silence qui les écoute. Enfermés dans leur raison, la plupart ne franchiront jamais le pas de la déraison, sinon au prix d'une illumination qui les laissera fous et exsangues. Ils sont absorbés par ce qu'ils ont sous la main, et quand leurs mains sont vides, ils les posent sur leur visage et ils pleurent. Ils sont comme ça. »
Anima, Wajdi Mouawad (Leméac/Actes Sud 2012)

Острый человек (second rôle)

Mais non, vous n'y êtes pas mais pas du tout : Depardieu actuellement, il est en plein tournage.
Et nous, on a vraiment cru que tout cela était vrai ! On s'est mis à se pincer et se frotter les yeux ; et dire qu'on a même failli s'offusquer : la planque Belge, la démocratie Tchétchène, l'humaniste Poutine, tout ça...
mais en fait, il tourne, Voilà.
Donc il ne faudra pas s'étonner si on le voit la semaine prochaine avec Bachar à Damas. D'ailleurs, déjà, il aurait dû être hier à son  (bon) côté - aubaine, imaginez, première apparition publique depuis deux mois !- mais il a dû en dernière minute compléter ses prises en Mordovie : appartement, maison sur la rivière, cave, etc
Et tiens, la preuve irréfutable du tournage en cours :
photo de plateau (non créditée)
Острый человек (rôle) Humain pathétique

Sacré farceur, va ! Et tout ça pour le buzzz.