18.12.12

insularité

« Il n'a pas besoin de voir la mer pour rêver, les rêves de Marcel ne se nourrissent ni de contemplation ni de métaphore mais de combat, un combat incessant mené contre l'inertie des choses qui se ressemblent toutes, comme si, sous l'apparente diversité de leurs formes, elles étaient faite de la même substance lourde, visqueuse et malléable, même l'eau des fleuves est trouble et, sur les rivages déserts, le clapotis des vagues exhale un écœurant parfum de marais, il faut lutter pour ne pas devenir inerte soi-même et se laisser lentement engloutir comme par des sables mouvants, et Marcel mène encore un combat incessant contre les formes déchaînées de son propre corps, contre le démon qui s'acharne à le clouer au lit, la bouche pleine d'aphtes, la langue rongée par le flux des sucs acides, comme si une vrille avait creusé dans sa poitrine et dans son ventre un puits de chair à vif, il lutte contre le désespoir d'être sans cesse cloué au fond d'un lit humide de sueur et de sang, contre le temps perdu, il lutte contre le regard las de sa mère, contre le silence résigné de son père en attendant d'avoir regagné, en même temps que ses forces, le droit d'être là, dans la cour de l'école primaire de Sartène, la vue bouchée par la barricade des montagnes.»

Le sermon de la chute de Rome, Jérôme Ferrari. p 67 (Actes Sud 2012)

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