« Il
n'a pas besoin de voir la mer pour rêver, les rêves de Marcel ne se
nourrissent ni de contemplation ni de métaphore mais de combat, un
combat incessant mené contre l'inertie des choses qui se ressemblent
toutes, comme si, sous l'apparente diversité de leurs formes, elles
étaient faite de la même substance lourde, visqueuse et malléable,
même l'eau des fleuves est trouble et, sur les rivages déserts, le
clapotis des vagues exhale un écœurant parfum de marais, il faut
lutter pour ne pas devenir inerte soi-même et se laisser lentement
engloutir comme par des sables mouvants, et Marcel mène encore un
combat incessant contre les formes déchaînées de son propre corps,
contre le démon qui s'acharne à le clouer au lit, la bouche pleine
d'aphtes, la langue rongée par le flux des sucs acides, comme si une
vrille avait creusé dans sa poitrine et dans son ventre un puits de
chair à vif, il lutte contre le désespoir d'être sans cesse cloué
au fond d'un lit humide de sueur et de sang, contre le temps perdu,
il lutte contre le regard las de sa mère, contre le silence résigné
de son père en attendant d'avoir regagné, en même temps que ses
forces, le droit d'être là, dans la cour de l'école primaire de
Sartène, la vue bouchée par la barricade des montagnes.»
Le sermon de la chute de Rome, Jérôme Ferrari. p 67 (Actes Sud 2012)
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