22.2.12

Vote utile?

Le vote est un acte citoyen, aussi parfois militant. Il m'arrive d'être militant, ainsi aux européennes (2009) pour Daniel Cohn-Bendit, aux présidentielles (2002) pour François Bayrou et (2007) pour Ségolène Royal... et doublement*. En 2012 il est bien possible que cela se renouvelle, l'acte militant je veux dire. Par exemple pour Bayrou il y a dix ans, bien au delà du choix gauche droite que je ne trouve plus trop pertinent depuis le début des années 90, ce fut pour encourager l'acte d'émancipation, le courage de se démarquer et de suivre sa propre ligne... en même temps que je n'ai été relativement convaincu, et ce depuis le début, par ses idées que je trouve trop générales, conceptuelles disons, sans chair. Là, pour cette élection présidentielle, se repose la question. Je ne me sens pas lié par un calcul ou un raisonnement, genre attention au danger pour le 2ème tour, le vote utile etc, pourtant je me sens encore très concerné par certaines des préoccupations d'un monde que j'ai quitté, il y a belle lurette. Et si je regarde le panel proposé, le casting pourrait-on dire avec une certaine légèreté (synonyme distance), le vote militant pourrait aussi se concrétiser sur la personne d'Eva Joly qui réunit finalement les qualités manquantes de Bayrou : la consistance, réaliste et pratique, des idées.
Ma décision n'est pas prise, je ne fais qu'extrapoler, pour l'instant. De toute façon, pour le second tour mon choix est fait, depuis le début (DSK inclu). Il y a un autre élément, plus déterminant à mes yeux finalement, c'est une aversion profonde pour la xénophobie ambiante. Tiens, intéressant l'initiative de Télérama ici qui dresse un portrait assez juste et procède à un décryptage que je trouve plutôt pertinent, mais curieusement pas du tout pour la raison indiquée, car de gestuelle il n'est guère question.

*première (et seule) fois de ma vie où j'ai pu choisir le même bulletin au premier et au second tour. Toujours j'en ai été empêché, cela a commencé avec Chaban en 1974 et puis et puis et puis, jamais mon candidat ne fut présent au second tour... bon choix pourtant mais mauvaise pioche.

14.2.12

L'émeute, fenêtre temporaire sur le monde

"Ce que nous a montré en quelques heures la Grèce avant hier, c'est là -à cet endroit là- une manifestation de la crise générale mondiale du dispositif de représentation politique que l'on connaît depuis dix ans: un parlement enfermé dans ses murs dans le calme et la lumière crue avec des discours bien tempérés, entouré d'un peuple qui n'en pouvait plus de crier sa colère, sans perspectives!" Alain Berto* invité des Matins.
animateur du blog anthropologie du présent, auteur de Le Temps des émeutes (2009)

9.2.12

Et si Eva Joly

Elle n'est pas audible dit-on, mais au fait l'écoute-t-on?
Oui je sais, difficile d'écouter et de parler en même temps... Et c'est dommage, car parfois un petit effort peut nous apprendre beaucoup. Par exemple:
Ah tiens, le réacteur n°2 de Fukushima est hors de contrôle! Une brève en page 15 et encore, c'est ce que cela mérite non? Notre capacité d'absorption est sans limites: ingestion-digestion-extraction, mouvement ininterrompu. Et quand-est-ce-que l'on va se poser un peu pour revenir aux questions prioritaires et fondamentales de notre civilisation supérieure (comme dirait l'autre)?

Ambivalence

Europe, quelle belle idée!
en même temps
Europe, quand tu nous tiens!
Ambivalence des sentiments, ambivalence des situations et des comportements. J'ai toujours été, sur des registres divers il est vrai, un européen convaincu. Sans doute au départ une formation éducation franco-allemande... et sa suite. Qu'importe le flacon* n'est-ce pas, mais est-ce si sûr?
J'ai milité activement en faveur du Oui pour le traité de Maastricht et la tâche ne fût pas facile avec ce référendum (1992) qui s'intercalait dans une (ma) précampagne électorale législative au cœur d'une zone de banlieue ouvrière et rurale pauvre de la Charente inférieure. Pourtant je tînt bon. Ensuite également dans les différentes étapes, jusque et y compris le référendum sur la constitution européenne (2008). C'est après que cela s'est délité, le décalage par trop ouvert et souvent choquant entre l'esprit et la lettre, la pensée (oserais-je dire le rêve!) et l'action.
Je reste ainsi constamment sur le fil, partagé entre «l'idée européenne» et une réalité dogmatique institutionnelle qui heurte profondément ma conception du vivre ensemble. Ce qui me mène tour à tour à seulement quelques jours d'intervalle (post du 26/01) à citer JD.Giulinai et la fondation Robert Schumann «Europe: l'horizon pourrait bien s'éclaircir » et ceci extrait d'une matinale radiophonique –thème Roumanie, Grèce et autres:jusqu'où la rigueur est-elle socialement et politiquement tenable?– au cours de laquelle le chercheur Jean-Paul Malrieu en direct de Toulouse se réfère à la Roumanie, la Grèce, et la Hongrie: «Ce qui est frappant c'est la difficulté à faire émerger un discours politique qui permette de dégager des solutions soutenables. Entre les pays du Sud et la Roumanie, on a aussi en effet le cas de la Hongrie dans lequel on voit se développer un discours extrêmement nationaliste et xénophobe. La violence qui est faite aux sociétés peut les conduire à des dérives très inquiétantes, or les réponses qu'apporte l'UE à des montées tendancielles de ce type sont extrêmement étonnantes: ainsi on peut prendre des mesures qui suppriment les libertés publiques, d'expulsion systématique des gens qui sont sans domicile fixe et les mettre en dehors de la ville, on peut prendre des mesures liberticides... et qu'est-ce que l'Europe trouve à dire: ah, vous avez porté atteinte à l'indépendance de la banque centrale! Si l'on fait le bilan, c'est une crise financière dont les banques sont en grande part responsables, ces banques sont sauvées par les États, et à peine deux ans après les banques se retrouvent dans la position d'étrangler les États au nom des dettes qu'ils ont contractées! Il y a une incapacité à remettre à plat l'ensemble des règles du jeu ainsi que le fonctionnement de notre système occidental qui est dramatique et l'opinion publique qui souffre a un mal fou à dégager les principes de ce que pourrait être les principes d'une reconstruction sociale soutenable. C'est ça le drame que nous vivons aujourd'hui.»
Voilà, comment concilier principe et réalité, et en particulier que faire lorsqu'on est plus en mesure de soutenir l'ambivalence? Au delà du manichéisme, toute réponse est bien venue.

6.2.12

Horizontal. Non, mieux, latéral.

Je dois battre ma coulpe. Tant et tant d'années où j'ai rebattu les oreilles de mes proches, ma plus proche en particulier dans les années 90, sur l'évolution immanquable de nos sociétés de la verticalité (institutionnelle notamment) à l'horizontalité. J'en ai même fait le centre de mon combat –«si singulier» pour le moins, estimeront nombre de mes relations, famille et amis proches, justement– lors de mon engagement politique électoral aux législatives de 1993. Vingt ans déjà! Oui, vingt ans que je rabâche inlassablement cette évidence pour moi, plus intuitive que construite ou réfléchie: c'en est fini des structures pyramidales et centralisées, le monde est désormais conduit à une horizontalité qui va bousculer –qui bouscule déjà même considérablement– nos habitudes et modes de vie. Remettre l'homme au centre du jeu, lui permettre d'accomplir son destin individuel et collectif à la fois local et global.
J'ai puisé dans cette conviction ma force, m'opposant (nécessairement) aux structures en place, empruntant une voie politique étroite qui ne pouvait évidemment mener à l'élection : candidat libre! Autant dire candidat sans avenir. Je ne le regrette pas, malgré les effets dévastateurs collatéraux qui en ont résulté durablement dans ma vie professionnelle et sociale. Disons plus clairement que s'il m'est arrivé, et encore parfois aujourd'hui, d'en regretter certains effets multiplicateurs, je n'en ai jamais remis en cause... la cause précisément. Cette évidence allait entraîner nombre de conséquences, pas seulement au niveau théorique et conceptuel, sur l'appréhension du monde environnant, la place qu'il convient d'y réserver, le rôle que désormais il serait utile de tenir, pour harmoniser la pensée à l'action...
Vaste programme, en cours, jamais achevé. D'où également une impression de flou ou de confusion, d'incertitude. Même, la réalité d'une forme de précarité sociétale. Risque et danger. Pourtant, au fond de mon être se tient toujours cette évidence et donc, corrélativement, que je ne suis pas venu au bon moment. Trop tôt... trop tard... les deux? Mais peu importe, car au fond les signes d'encouragement ne manquent pas. Ils sont comme des petits cailloux placés sur le chemin de l'inconnu, des signaux de reconnaissance.
Par exemple je peux dire, contre toute mode et tendance actuelle (et donc d'autant plus fortement) que j'ai trouvé dans la longue campagne participative de Ségolène Royal en 2006 et 2007 une profonde correspondance avec mes idées, je dirais même plus, mes sentiments profonds. Et très tôt, pratiquement dès le départ, j'ai spontanément associé à sa démarche une pensée comme celle d'Edgard Morin... leur rapprochement ultérieur ne m'a donc nullement surpris (d'ailleurs qu'en est-il aujourd'hui de ce laboratoire régional de la complexité, a-t-il lui aussi été victime des modes et passions passagères?).
Aussi, sans aucun désir de provocation, j'aime à réaffirmer ici et maintenant que cette femme avait –et donc a, quoiqu'il en soit– une « vision de l'évolution ». Et que si Francois Hollande est élu Président de la République, ce que personnellement je souhaite, il serait bien inspiré de saisir cette chance, cette opportunité de prendre à ses côtés dans un espace préservé –en particulier des ravages du temps rapide*– une personne de cette trempe qui a démontré par la parole et par l'action qu'elle comprend les évolutions de notre temps et partant celles nécessaires de notre société.
Je pense à Ségolène Royal en écoutant Jérémy Rifkin**, très bien interrogé à France Inter par Stéphane Paoli hier dimanche. Une petite heure précieuse d'entretien que je recommande vivement à quiconque souhaite percevoir le monde qui est, c'est à dire celui qui se prépare sous nos regards ouverts, faisant ainsi écho à La Fontaine : «À ce signe d'abord leurs yeux se dessillèrent». Une recommandation que j'adresse en particulier à mes relations, famille et amis proches... Et je profite de l'occasion pour substituer à « horizontalité » le terme mieux adapté et complet, plus pertinent, de « latéralité ».

*Je pense par exemple à ce que pourrait être un vaste commissariat général au Plan, revu à la forme XXI° siècle, en tant qu'organe central, durable et intangible

**La troisième révolution industrielle – Comment le pouvoir latéral va transformer l’énergie, l’économie et le monde (éditions Les liens qui libèrent, février 2012)

5.2.12

"Douch est un Cambodgien comme moi" (témoignage*)



Nous appartenons au même pays.
Nous avons à peu près la même origine, la même langue, la même histoire, nous sommes de la même génération.

"Je regarde le film "Douch, le maître des forges de l’enfer", de Rithy Panh, un des survivants du génocide khmer rouge. C’est le fruit d’un long travail, de mars à août 2009. Douch s’y exprime librement sur ses terribles fonctions : celles de bourreau.
Mon imagination s’évade quand je le vois en train de parler. Je pense aux victimes dont le visage m’interpelle. Et je pense à moi, à mes proches, au Cambodge. Je pense à plus de 1.500 tués sur les 1.700 Cambodgiens revenus comme moi de l’étranger entre 1975 et 1978. Et je me dis que ce qui est terrible, ce qui est effrayant, c’est que Douch est Cambodgien comme moi.
Nous appartenons au même pays. Nous avons à peu près la même origine, la même langue, la même histoire, nous sommes de la même génération. Comme moi, il a été élevé dans la religion bouddhique et a séjourné parmi les moines dans une pagode. Il a fréquenté le même genre d’école, étudié dans les mêmes livres. Et quand il était jeune, il faisait sans doute à peu près les mêmes rêves, pour le pays, que les miens.
Donc Douch-le-Meurtrier n’est pas un étranger. Et il est un homme normal. Ce n’est pas un homme malade, ce n’est ni un dépressif ni un psychopathe. C’est un homme cultivé, intelligent, avec une bonne mémoire. Il peut réciter les poèmes appris dans sa jeunesse. C’est aussi un homme marié, qui a des enfants. Et je souligne encore, pour ne laisser planer aucun doute, que Douch n’est pas un agent secret d’une puissance étrangère. Il est d’origine chinoise, comme tout le monde ou presque au Cambodge.
Donc Douch est un Khmer, un Cambodgien, un vrai. Mais, en même temps, le crime montre que le visage est aussi un masque, et la langue un leurre, cachant des fantasmes et des pensées qui leur sont philosophiquement et moralement étrangers.
Mais alors : qui sont les nôtres ? Pol Pot, Nuon Chea, Ieng Sary, Douch ? Ceux avec qui (vivants ou morts ou encore actuellement au pouvoir) nous partageons la même histoire, le même aspect physique, le même sol, le même héritage culturel, la même langue ? Ces frères de "sang" ont-ils le droit de nous faire du mal éternellement parce qu’ils sont nos "frères" de "sang" ? L’expérience tragique nous a démontré l’absurdité d’une telle théorie nationaliste.
Non, les nôtres pour moi, ce sont ceux avec qui nous partageons les mêmes valeurs. Nous avons été prisonniers du poids de notre passé. Nos chefs ont su flatter d’une manière sublime notre rêve de l’époque angkorienne en faisant de nous des nationalistes dans l’âme, au point de reléguer à l’arrière-plan les valeurs humaines, la démocratie, la bonne gouvernance. Il ne faut être prisonnier ni de son histoire, ni de sa tradition, ni de personne, y compris de soi-même. Hier, aujourd’hui et demain sont complémentaires.
Dans sa cellule proprette (on dirait une chambre d’étudiant du quartier latin), le prisonnier Douch-le-Terrible fait ses exercices physiques. Il a l’air d’être en forme. Et puis, il s’assied devant sa table de travail pour lire la Bible. Consciencieux, comme il l’a toujours été, pour essayer, cette fois, par le biais de Jésus, de faire pardonner ou faire oublier son monstrueux Karma.
Pour Freud, c’est lors de l’enfance que tout se joue. Vraiment ? L’empreinte familiale explique beaucoup de choses. Mais pas tout ! Sinon comment expliquer le cas de Douch ? Son enfance n’est pas très différente de celle des autres. S’il a fini par devenir le bourreau de l’Angkar, c’est par un de ces enchaînements énigmatiques, propres au destin de ceux qui ressentent si violemment le drame de l’existence qu’il ne leur reste plus qu’à se jeter par désespoir dans les extrêmes Or les extrêmes, comme disait Kundera, " marquent la frontière au-delà de laquelle la vie prend fin, et la passion de l’extrémisme, en art comme en politique, est le désir déguisé de mort ".
" Rithy a fait du bon boulot ", m’a dit mon épouse, à la fin du film. C’est sa première parole depuis presque une heure. Je la crois volontiers. C’est la justice qui a le dernier mot. Pas Douch ! Lui, malgré les apparences, est un homme accablé de remords. Il ne sortira pas de son Karma de sitôt. Et c’est bien ainsi."

*Témoignage de Ong Thong Hoeung, écrivain cambodgien, publié hier samedi 4 février dans La Libre Belgique.

4.2.12

la goutte d'huile qui frappe le front


et le trouble à nouveau me saisit... en quoi consiste-t-il.
Il faut croire que se tapit au tréfonds de ma conscience comme une boule de transissement, fixe généralement, qui se meut en de rares occasions mais tout à fait radicales, éveillant les remugles d'un inépuisable questionnement. Ce matin la voici à nouveau bousculée. Quel en est le déclencheur? Alain Badiou, philosophe, intellectuel dont l'éclectisme des appétences séduit, communiste du post communisme, excellent orateur (maître de rhétorique, dois-je plutôt dire) sa voix de tribun prend, emporte même, alors qu'il est invité d'Alain Finkielkraut dans Répliques sur France Culture. Et soudain, voici le nœud qui revient –mais là discret car sans plus d'enjeu véritable– au plein de l'estomac, des viscères qui se contractent insensiblement, une tête qui tourne légèrement, me voilà encore chaviré par le tourbillon de (mauvaise?) conscience qui habite -ainsi donc ma vie durant– l'être que je suis et que j'étais déjà, observateur et chroniqueur, naguère journaliste politique.
Pour bien camper le mal profond qui me ronge, car je ne peux décidément et d'un revers de main m'en exonérer, voici l'extrait entendu qui déclenche. Alain Badiou parle de son communisme à l'occasion de la parution de sa "République de Platon": Quelle est la perspective unique aujourd'hui, vous me faites rire tout de même... tout le monde sait bien que c'est économie de marché et capitalisme déchaîné, et que au mieux la démocratie parlementaire. Le couple de la démocratie parlementaire et du capitalisme libéral est en réalité le paradigme unique à l'échelle mondiale aujourd'hui. Donc si nous voulons sortir de ce paradigme unique, qui est lui bien plus mondialisé que ne l'a jamais été l'idée communiste, il faut évidemment proposer un autre paradigme! La multiplicité commence par là et donc j'estime être porteur de la démocratie pluraliste et donc quelque chose de radicalement différent de ce qui domine, tandis que vous* vous proposez une fausse multiplicité –libéral, conservateur et socialiste– ca veut réellement dire qu'on est fondamentalement d'accord sur le cours des choses, et que après on va cultiver la petite différence...
Alors surgissent en désordre trois moments/événements/faits qui s'enchevêtrent, extraits de ma mémoire complexe (compliquée dirait Blak) et revendiquée subjective bien entendu.
– Le congrès de Valence du Parti Socialiste en octobre 1981, quelques mois après l'arrivée de l'union de la gauche au pouvoir, Louis Mermaz réclame les têtes de ceux qui s'opposent au changement, le lendemain Paul Quillès est à la tribune –je suis juste en dessous avec d'autres confrères dont je me souviens fort bien, Paul Guilbert, Yvan Levaï et Catherine Nay entre autres– , et s'écrie d'une voix stridente et forte, le bras tendu, vengeur : « Il ne suffit pas de réclamer que des têtes doivent tomber... il faut dire combien et surtout lesquelles! » Le même Louis Mermaz dans l'avion qui nous ramène à Paris, discussion à bâtons rompus avec les journalistes, assène en historiographe et vigile statue du commandeur : « Le parti dit toujours la vérité! »
– Le discours prononcé à l'université d'Harvard par Alexandre Soljenitsyne et dont l'Express publie le texte in extenso... remarquable, nous sommes en 1978. L'auteur de "L'archipel du Goulag" effectue sa première grande sortie publique, secret exilé dans son refuge de Cavendish (Vermont) depuis son expulsion-bannissement d'URSS quatre ans auparavant. Et que dit alors Soljenitsyne, il pourfend le matérialisme sans bornes des sociétés démocratiques, et sa contrepartie, l'étiolement de la spiritualité. En France, comme l'écrit l'Express (dont le directeur Jean-Francois Revel prendra mordicus la défense du célèbre dissident) «ce «moujik mystique, ce prophète de malheur» ressort la question du stalinisme et la gauche intello supporte mal qu'on lui rappelle ce par quoi elle a péché. Les dissidents assermentés persiflent.» Moi je perçois en substance, à l'époque, le discours fleuve* de Harvard comme : Au Goulag nous rêvions de Vous (de votre Liberté) et aujourd'hui...  (qu'en avez-Vous donc fait !).
– Mai-juin 1981 à la rédaction de Soir3. Nous ne sommes guère nombreux à défendre un journalisme «objectif» (on se fourvoie beaucoup dans les leçons de morale, je n'échappe pas à la règle), D.Baudis –mais il partira vite vers d'autres horizons, politiques– G.Guicheney ou F.Buchi... bien peu en réalité et qui doivent quotidiennement faire face au rouleau compresseur de l'idéologie communiste mise en place avec la complicité active de militants fort engagés comme E.Guibert, S.Moati, M.Seveno. Chaque jour ainsi, l'épuisant et inépuisable débat interne entre pluralisme et objectivité. Je défends évidemment la seconde contre le premier, qui ne consiste là qu'à répartir arbitrairement les temps de parole entre journalistes supposés de bords différents! Ainsi en l'occurrence, entre moi l'éditorialiste maison et M.Naudy tout frais débarqué du journal l'Humanité. Je tiendrai dix-huit mois, ce qui est à la fois méritant (diront sous le couvert les plus aimables) et beaucoup trop, de facto.
Ces divers épisodes me reviennent donc, ils me laissent toujours autant interrogatif à l'égard de moi-même et je me dis qu'à ce compte là, je ne tiendrai jamais ma réponse. Toujours tiraillé entre une réelle compassion et une rationalité issue de tant de strates, éducative, professionnelle, sociologique. Un débat interminable, je ne prétendrai pas aujourd'hui le trancher. Voici donc un blog qui a de l'avenir pour le moins (j'espère pas pour le pire).
*s'adressant tout autant à l'interviewer qu'à l'autre invité, Jean-Francois Pradeau, philosophe également mais de facture plus libérale
**mais tout était fleuve chez Alexandre Soljenitsyne, ses discours, ses livres, ses engagements