28.11.09

Et pour être complet...

On peut également lire ceci, propos réfléchis et assumés de Marie NDiaye qui a posteriori persiste et signe.

Néonazi et néokozy

L'écrivain américain Percival Everett à propos de la microcosmique affaire Marie NDiaye : "L'attaquer pour ce qu'elle pense de la politique de son pays, c'est du pur fascisme. Je ne pense pas beaucoup de bien des Etats-Unis, mais la chose qui est vraiment appréciable, c'est la liberté totale d'expression. Dans notre pays, la ligue pour la protection des droits des citoyens a défendu la liberté d'expression des néo-nazis. Même si on déteste entendre ce que les néo-nazis ont à dire, il faut apprécier le fait qu'ils ont le droit de s'exprimer et que personne ne peut vous dire ce qu'il faut penser. C'est tout simplement ridicule."
And, so what ? Tolérer en France l'expression libre des mouvements néo-nazis ! Moi, je ne l'imagine pas.
Cependant cette position, si naturellement et clairement exprimée par l'auteur de (le) Supplice de l'eau, qui dénonce la politique militarisée de Bush, me fait réfléchir. La garantie de Mon droit d'expression le plus large, le plus extrême, le plus fou... passe par l'acceptation du Sien*. Alors que je m'apprête à en user -largement ?- sur ce blog (exemple parmi d'autres) quelle position me dois-je d'adopter, pour être cohérent ?
Car évidemment que j'ai jugée grotesque voire infantile, la réaction de E.Raoult-dans-les-brancards condamnant en auto-urgence (10/11/09) des propos tenus trois mois auparavant (18/08/09) par un écrivain -pardon mais je n'arrive pas à m'y faire à "écrivaine" et pourtant je m'honore qu'on me qualifie de féministe (ce qui n'est généralement pas lancé comme compliment!)- pour un prix qui n'était et pour cause pas encore décerné (02/11/09). Et quand bien même... l'aurait-elle déjà reçu ce prix X ou Y, qu'est-ce que cela y changerait ? Et le Goncourt, quand même, il ne faut pas charrier ! À quand les caricatures de Drouant (le resto) puis les manifs "spontanées" organisées par des maisons d'édition ? Atteinte à... À quoi au fait ? Bernard Pivot, membre de la dite académie, a bien raison d'en rigoler.
La sortie de E.Raoult vient s'ajouter à l'odieuse complaisance des ministres et sous affidés déculottés, en défense du Prince Jean, et, de façon plus lointaine mais tout aussi présente à mon esprit (tordu et vicieux de sale ex-journaliste), aux lâches gloussements complaisants de bon nombre de "confrères", voletant -telles des ouailles époumonées en salle des fêtes du Palais- à l'honteux secours du mépris Sarkoziste, réponse à la pertinente (et normalement courageuse) question de Laurent Joffrin à propos des dérives d'hyper-présidence, lors de la première et unique conférence de presse présidentielle.
Et Frédéric M. quelle amère déception. Mais l'amère va et vient, ainsi du large soutien dont il a -à juste titre - bénéficié à propos de au fait... d'un livre, non ? Homonymie n'équivaut pas garantie. Même, peut faire leurre.
C'est grave, très grave selon moi, ce retour du "devoir de réserve". Car cela peut nous entraîner loin. Trop loin, déjà maintenant. Sans revenir sur des expériences ou souvenirs personnels (je ne m'interdis toutefois pas de le faire un de ces jours et traiter radicalement de l'auto-censure) cette notion de "devoir de réserve" qualificative de toutes les interprétations abusives -un peu du genre "trouble à l'ordre public"- donne droit à n'importe qui de condamner n'importe quoi. Et, généralement, c'est à sens unique.
Mais revenons à la problématique posée par Percival Everett, car je le reconnais, elle me pose sacrément problème. Quand Le Pen passe à la télé, je coupe le son. Ma femme est encore plus rapide que moi dans l'exercice. "Le Poux" qu'on dit à la maison ! Cependant, il est vrai que du temps où j'exerçais dans les médias nationaux (français) j'ai toujours défendu que Le P. etc puisse s'exprimer librement. Au nom de la liberté d'expression et aussi d'une certaine cohérence : lorsque des années plus tôt (je parle des années 70 et 80 surtout) s'est posée à intervalles réguliers -au rythme de l'opportunisme de chaque camp- la question de l'interdiction du Front National, la réponse -ou plutôt la courageuse non réponse des pouvoirs successifs- a été de ne pas donner suite. A partir de de ce moment là, il faut en assumer toutes les implications. Ou alors on fait comme en Birmanie (LND) ou en Algérie (FIS) on annule le scrutin et on interdit le parti vainqueur.
Alors donc, pour ce qui est de la polémique actuelle, comment faire ? Car non seulement Marie NDiaye dit des choses parfaitement sensées, que j'approuve avec (obligation de) réserve -ah ! que n'ai-je le Goncourt, merde- de mon balcon Barcelonais, mais elle a sacrément du talent. Or donc, face à cette liberté souverainement revendiquée, je devrais a contrario me coltiner celle (la liberté) d'un néo-nazi enfumé, haineux, négationniste, et de surcroit, vulgaire et laid ?!
Hé ben oui, voilà. C'est le prix net, sans Tva réduite aux acquêts. Ça va être dur, je sens. Même, comme je vois nos sociétés évoluer, ca être de plus en plus dur de revendiquer -et de tenir mordicus- la tolérance, l'altruisme, la compassion, la fraternité (merci Ségolène de nous l'avoir liftée), bref l'humanisme comme fin et comme moyen. Je veux bien essayer, mais franchement je n'y mettrai pas ma main à couper**.

PS. Nous n'avons pas quitté le France de Sarkozy en 2007, mais celle de Chirac en 1996. Depuis cela ne s'est pas vraiment arrangé.

*Tout autre que moi
**encore que, avec le clavier on peut désormais taper de la gauche...

26.11.09

Cheikh Anta Diop / El Hadj N'Diaye

/ Moi je suis allé à l'école et l'on nous disait que nous étions des étrangers en Afrique.
Nous n'habitions pas l'Afrique, nous sommes venus par l'Océanie.
Nous étions des occupants noirs comme le blanc est un occupant blanc.
Et alors c'est l'occupant le plus fort qui déracine l'autre !
Que le vrai indigène de l'Afrique, c'est le pygmée.
Le noir est venu avant-hier, le blanc est venu hier, et puis c'est tout.
Bidéw bi juddu / Une étoile est née
Asamaan see / Dans ce ciel
Bidew bi leeral te dem / Cette étoile nous a éclairés et s'en est allée
Cheikh Anta Diop / Cheikh Anta Diop
Cheikh wéetel nga ñu / Cheikh, nous sommes orphelins
(bis)
Cheikh Anta Diop / Cheikh Anta Diop
Cheikh wéetel nga ñu / Cheikh, nous sommes orphelins
Du Magrheb au sud de l'Afrique
En passant par l'Egypte des paramides
Rarement sagesse n'a égalée celle de Cheikh Anta Diop
Cheikh Anta Diop / Cheikh Anta Diop
Cheikh wéetel n'ga ñu / Cheikh, tu nous a laissés seuls
(bis)
Cheikh Anta Diop / Cheikh Anta Diop
Cheikh wéetel n'ga ñu / Cheikh, tu nous a laissés seuls
Ton génie Cheikh
Brille tel un soleil
Dans cette nuit noire d'obscurantisme
Cette Afrique-là dont parlait Hegel
Cheikh, ta sagesse, elle est encore là
Nous ne te dirons jamais adieu
Baayu Samori Diop / Père de Samori Diop
Cheikh wéetel n'ga ñu / Cheikh, tu nous a laissés seuls
Baayu Jomo Kenyata Diop / Père de Jomo Kenyata Diop
Cheikh wéetel n'ga ñu / Cheikh, tu nous a laissés seuls
Grand savant universel
Nibina Ceytou / Tu es rentré à Ceytou./


"Les voix de Thomas Sankara -celui qui disait "que cette dette nous perdrait", celle de l'artisan de l'ombre -aux visions trop novatrices pour son époque- Cheikh Anta Diop, l'accompagnent. Du fond de Carbone 14 -unique laboratoire de physique nucléaire existant en Afrique noire- poursuivant ses recherches dans une totale solitude intellectuelle, il est celui qui a su avant tous qu'il fallait utiliser le soleil comme énergie, assumer ses choix, et fustiger le carriérisme. Il inspire à El Hadj ces pépites de chansons crues et douces" Emmanuelle Honorin.

23.11.09

Patience et longueur de temps

Chant XIX (37e jour)
"PÉNÉLOPE - En ce manoir, mon hôte, si tu voulais rester encore à me charmer, le sommeil ne saurait s'abattre sur mes yeux. Mais on ne peut toujours écarter le sommeil; c'est pour tous les mortels que, sur la terre aux blés, les dieux ont fait la loi. Je vais donc, il est temps, regagner mon étage et m'étendre en ce lit qu'emplissent mes sanglots et que trempent mes larmes depuis le jour qu'Ulysse est allé voir là-bas cette Troie de malheur!... que le nom en périsse!... Puissé-je reposer: toi, dors en ce logis! fais-toi par terre un lit, ou qu'on te dresse un cadre...
A ces mots, regagnant son étage brillant -sans la laisser, suivait le reste des servantes-, elle rentra chez elle avec ses chambrières: elle y pleurait encore Ulysse, son époux, à l'heure où la déesse aux yeux pers, Athéna, vint jeter sur ses yeux le plus doux des sommeils."
Chant XX (38e et 39e jour)
"Ce fut dans l'avant-pièce que le divin Ulysse vint alors se coucher: par terre et sur la peau fraîche encor de la vache, il entassa plusieurs toisons de ces brebis que, chaque jour, offraient aux dieux les Achéens.
Quand il y fut couché, Eurynomé sur lui vint jeter une cape. Mais, songeant à planter des maux aux prétendants, il restait éveillé.
De la salle, il voyait s'échapper les servantes, qui, chez les prétendants allant à leurs amours, s'excitaient l'une l'autre au plaisir et aux rires. Son cœur en sa poitrine en était soulevé; son esprit et son cœur ne savaient que résoudre: allait-il se jeter sur elles, les tuer, ou, pour le dernier soir, laisserait-il encor ces bandits les avoir?...
Tout son cœur aboyait: la chienne, autour de ses petits chiens qui flageolent, aboie aux inconnus et s'apprête au combat; ainsi jappait son âme, indignée de ces crimes; mais, frappant sa poitrine, il gourmandait son cœur:
ULYSSE - Patience, mon cœur*, c'est chiennerie bien pire qu'il fallut supporter le jour que le Cyclope, en fureur, dévorait mes braves compagnons! ton audace avisée me tira de cet antre où je pensais mourir!
C'est ainsi qu'il parlait, s'adressant à son cœur; son âme résistait, ancrée dans l'endurance, pendant qu'il se roulait d'un côté, puis de l'autre; comme on voit un héros, sur un grand feu qui flambe, tourner de-ci, de-là une panse bourrée de graisses et de sang; il voudrait tant la voir cuite tout aussitôt; ainsi, il se roulait, méditant les moyens d'attaquer, à lui seul, cette foule éhontée.
Mais voici qu'Athéna se présentait à lui, venue du haut du ciel, sous les traits d'une femme, et lui disait ces mots, debout à son chevet:
ATHÉNA - Pourquoi veiller toujours, ô toi, le plus infortuné de tous les hommes?... N'as-tu pas maintenant ton foyer, et ta femme, et ce fils que pourraient t'envier tous les pères?
Ulysse l'avisé lui fit cette réponse:
ULYSSE - Déesse, en tout cela, tes discours sont parfaits; mais ce que au fond de mon esprit, je cherche encore, c'est comment, à moi seul, mes mains pourront punir cette troupe éhontée, qui s'en vient chaque jour envahir ma maison! et, souci bien plus grand! si je tuais ces gens avec l'assentiment de ton Père et le tien, mon cœur voudrait savoir où me réfugier; penses-y, je te prie!
La déesse aux yeux pers, Athéna, répondit:
ATHÉNA -Pauvre Ami! les humains mettent leur confiance en des amis sans force, en de simples mortels qui n'ont pas grand esprit!... Ne suis-je pas déesse? toujours à tes côtés, je veillerai sur toi dans toutes tes épreuves et, pour te parler net, cinquante bataillons de ces pauvres mortels pourraient nous entourer de leur cercle de mort; c'est encore en tes mains que passeraient leurs bœufs et leurs grasses brebis. Allons! que le sommeil te prenne, toi aussi! rester toute la nuit aux aguets, sans dormir, c'est encore une gêne: tes maux sont à leur terme.
A ces mots, lui versant le sommeil aux paupières, cette toute divine remonta sur l'Olympe. Ulysse alors fit pris du sommeil, qui détend les soucis et les membres."
Odyssée, Homère. Traduction de Victor Bérard pour la Librairie Armand Collin (1931)


*Lorsque Ulysse, de retour en son palais, tente de modérer sa fureur et son désir de vengeance en s'écriant, au chant XX de l'Odyssée: "Patience, mon coeur!", il prononce une petite phrase qui va changer la face du monde.
Pour la première fois sans doute, l'homme dialogue avec lui-même, analyse ses sentiments, découvre sa vie intérieure. La psychologie est née. Désormais, le chemin qui mène la pensée humaine vers "La princesse de Clèves"** et "A la recherche du temps perdu" est tracé. En fait, l'analyse psychologique proprement dite se développe au cours du Ve siècle athénien.
Dans la tragédie, l'histoire, la philosophie, J. de Romilly*** en démontre l'évolution capricieuse et fondamentale qui commande toutes les littératures à venir.

**dont la lecture sera rendue obligatoire dans les écoles publiques (lycées français à l'étranger inclus) à la rentrée 2010
***"Patience, mon coeur" : l'essor de la psychologie dans la littérature grecque classique, Paris, Les Belles-Lettres

20.11.09

TEDdy bear

About this talk...

Designer Philippe Starck spends 18 minutes reaching for the very roots of the question "Why design ?" Listen carefully for one perfect mantra for all of us, genius or not.

Cliq here


Ps. Blogal World in progress. Yesterday, around one hour (52 minutes). Today, 18 minutes. Tomorrow...? Bets are opened

19.11.09

Un coup de main ?

Si vous avez une heure à gagner : "la première séance"
On s'en reparle, à l'occasion.

18.11.09

Humain, trop humain

Le temps est fixe, et l'espace.
Nous, vivants - terriens, animaux, végétaux - nous voyons mobiles, progressifs. Car notre fixité (nous) serait-elle supportable ! En face, sur l'autre berge, l'humanité. Quel plus beau mot ? Projeté, catapulté, rêve fou d'une entrée en matière.

6.11.09

Sondage de couleurs

quelle est votre préférée couleur pour le texte? choisissez...  01
quelle est votre préférée couleur pour le texte? choisissez...  02
quelle est votre préférée couleur pour le texte? choisissez...  03
quelle est votre préférée couleur pour le texte? choisissez...  04
quelle est votre préférée couleur pour le texte? choisissez...  05
quelle est votre préférée couleur pour le texte? choisissez...  06
quelle est votre préférée couleur pour le texte? choisissez...  07
vérifier la couleur la meilleure pour le texte, votre préférée ? 08
vérifier la couleur la meilleure pour le texte, votre préférée ? 09
vérifier la couleur la meilleure pour le texte, votre préférée ? 10

ci-dessous cliquez sur COMMENTAIRES et indiquez le numéro choisi,
et... un message, un poème, une fureur, une interpellation, un propos en passant, un mémo pour les courses, un numéro gagnant, un cocktail, ou rien de plus ... merci de votre (précieuse) participation

Être * (ou)

*un pauvre
D'une phrase...
Extrait–2ème partie :
"— Ne voulez-vous pas vous asseoir ?
c'était en janvier et les bougainvillées interceptant la lumière augmentaient le silence, mon père dans la clinique d'Alvalade incapable de parler, avec un vase d'émail entre les cuisses
 — Pipi monsieur le docteur pipi
la balançoire vide oscillant de-ci de-là, le moulin près du puits en train de rouiller au vent, les vaches, les porcs et les poules ont fini par disparaître ou par être volés, seuls sont restés les corneilles, les pigeons et les loups d'Alsace sur la crête du versant, et moi dans le garage à finir mon bateau en attendant qu'ils viennent m'expulser mais pas ainsi, messieurs, pas ainsi, pas avec deux bonshommes insignifiants ouvrant leur serviette, trifouillant des papiers, exhibant un avis d'expulsion, et moi leur indiquant une chaise de paille percée
 — Ne voulez-vous pas vous asseoir ?
un des bonshommes orné d'une moustache d'acteur comique cherchant un stylo dans sa poche
 — Il vous faut me signer cela
et ils ne ressemblaient pas à des créatures à prendre au sérieux, ils ressemblaient aux clowns qu'engageait Sofia pour l'anniversaire des gosses, qui entraient par la porte de la cuisine, s'enfermaient dans la chambre aux armoires pour s'enfariner le visage et apparaissaient en gants blancs après le goûter, saluant les enfants et jouant des paso doble au saxophone, les clowns qui semblaient être parents des servantes et à qui Sofia offrait dans la cuisine une tranche de gâteau d'anniversaire et leur remettait une enveloppe, puis ils partaient en rasant le mur avec les instruments dans leur étui et moi avec l'envie de dire aux huissiers de justice avant qu'ils ne commencent à raconter des histoires drôles et à parler espagnol
 — Vous devez faire erreur je n'ai pas d'argent ce n'est pas mon anniversaire aujourd'hui
les gosses en cercle sur le tapis battant des mains, faisant éclater des ballons, tirant sur leurs énormes chaussures, et le clown à la moustache, dont les poches donnaient l'impression de se multiplier comme les tiroirs des pupitres, sortant un bout de crayon dans l'espoir que je trouve ça drôle et que je rigole
 — Il vous faut me signer cela
je les appelais de la clôture et les pitres s'arrêtaient sous un réverbère, tournaient vers moi leurs joues fardées dont le halo de la lampe accentuait l'air d'humilité et de soumission, les vagues rongeaient l'obscurité au-delà des arbres de Chine, au-delà des jardins, moi avec cent escudos pour chacun et eux à genoux sur le trottoir, ouvrant les étuis de leur saxophone, cherchant à me plaire
 — Monsieur désire-t-il que nous jouions pour lui un paso doble ?
cette musique d'aveugle capable de me faire pleurer je ne sais pourquoi, moi retenant mes larmes, m'enfuyant dans la maison suffoqué d'une étrange nostalgie, ma belle-mère, qui endossait sa fourrure de renard argenté dans le vestibule, fronçant le sourcil
 — Qu'est-ce que c'est que ce raffut ?
les saxophones jouant de plus belle, des bruits de lutte dans leur domaine, des discussions, des malles, le ronflement d'une auto s'évanouissant sous les cyprès, mon père à grands cris
 — Andouille
le moulin en quête de vent, le tracteur au milieu du maïs dans un effort à rendre tripes, une fille de tourterelles sur le toit de la serre, et moi en séchant mes paupières
 — Ce paso doble est de toute beauté vous ne trouvez pas ?
ma belle-mère lévitant dans un brouillard de parfum
 — Le jeune homme est-il idiot ou le fait-il exprès ?
le clown à la moustache déposant sur la table de l'échiquier l'avis d'expulsion au lieu de me tirer les armes avec un paso doble
 — Il vous faut me signer cela
un ange de pierre a voltigé le long du plafond sans que personne l'ait vu sinon moi tout comme moi seul voyais les loups et les voleurs dans les ténèbres de mon enfance, le clown sans moustache dépité qu'on ne lui serve pas une tranche de gâteau d'anniversaire
 — Nous avons des instructions du tribunal pour tout sceller
pour sceller les corbeaux, le vent, les grenouilles, les eucalyptus, les murmures et les voix du passé, pour sceller la cuisinière étalée sur l'autel les quatre fers en l'air et mon père le pantalon sur les chevilles
 — Je fais tout ce qu'elles veulent mais je n'enlève jamais mon chapeau de la tête pour qu'on sache bien qui est le patron
pour sceller mon père dans la clinique aussi
(— Pipi monsieur le docteur pipi)
le pitre à la moustache détachant une page de l'avis d'expulsion
 — Le duplicata est à vous prenez
et moi le glissant comme une partition sur le pupitre du piano
 — Duplicata de quoi ?
vu que sous les sarcasmes des oiseaux il n'y avait que de la bruyère et des murs de glaise que les averses de février emporteraient, ils ont apposé les cires solennelles sur les fenêtres, sur les portes et sur les châssis sans vitres, avec des bandes adhésives ils ont fermé chaque pièce l'une après l'autre au lieu de raconter des blagues, de me serrer la main avec des gants blancs, de se mettre tout à coup à jouer le Pisa Morena, et de ce fait ils ont scellé les corbeaux, les corneilles, les sanglots des grenouilles, ils ont scellé à la cire les meuglements des veaux et de cyprès scellé en cyprès scellé nous sommes arrivés sur la route, un mutisme de terre sainte régnait sur le domaine et moi m'adressant aux deux clowns en leur montrant le café des paysans, ouvriers et commis voyageurs de Palmela, qui se taisaient toujours en me voyant entrer comme si ç'avait été mon père et qu'il ait ordonné leur arrestation, et tandis que résonnait à mon oreille une nostalgie de je ne sais quoi, moi avec l'impression qu'on fêtait cet après-midi-là mon anniversaire
 — Vous êtes bien sûr de ne pas vouloir une tranche de gâteau ?
(...) "
Le Manuel des inquisiteurs de António Lobo Antunes (p.106-109) Christian Bourgois Editeur.
Et Christian Bourgois remerciait António Lobo Antunes de lui avoir proposé de publier "Le Manuel des inquisiteurs" dans sa version française (1996) avant toute édition portugaise ou autre.

5.11.09

Avoir* (ou)

*un pauvre
D'une phrase...
Extrait–1ère partie :
« Il y a un bon nombre d'années de ça on m'a emmenée en Alentejo à la confirmation de foi de la fille d'une couturière de la maison qui s'était mariée et ce que j'y ai vu c'est une foule de rustres, des hommes à moustaches et des femmes coiffées en toupet, mastiquant la bouche ouverte et déversant des assiettes entières de sandwichs au jambon dans des sacs plastique, moi agrippée aux jupes de ma mère, et ma mère avec une grimace de reine entourée de vassaux qui n'en étaient pas dignes, d'un haussement d'épaules résigné
— Quoi qu'on fasse pour les faire évoluer ces petites gens sont comme ca
tout cela se passant dans une église ou dans un couvent abandonné sans plafond, avec des tableaux des saints martyrisés au-dessus des restes de l'autel, des chiens errants en train de se disputer un morceau de poulet sous la table, un aveugle jouant de l'accordéon dans le confessionnal, le sacristain flanquant des bourrades au parrain qui tenait une bouteille d'anis dans sa main ballante, et la couturière, traînant elle aussi un sac plastique débordant de mangeaille, avec des plumes tombant de ses cheveux, la couturière, se frottant au manteau de fourrure de ma mère en nous offrant un plat composé de cure-dents plantés dans des rondelles de boudin qu'une vieille, avec des piaulements de moineau, fourrait en un éclair de rapine dans son sac à main
— Appréciez-vous le repas madame ?
ma mère s'époussetant en cachette
(— Je parie qu'ils m'ont refilé une cargaison de poux)
d'un air renfrogné, sans sourire, faisant signe au chauffeur qui l'escortait comme un gorille suisse du Vatican
— Le plus possible Aurora
ma mère déjà hors de l'église en ruine, dans un patio où les marmots des invités se couraient après en se lançant des pierres et où un groupe de filles sous des masques de ouistiti autour d'un orgue de Barbarie, épiées par des lascars avec bottes en basane et joues garnies de pattes, se photographiaient mutuellement en poussant des cris d'excitation, ma mère se parfumant avec un vaporisateur comme on se désinfecte
— Quelle odeur mon Dieu
et à peine sommes-nous arrivées à Estoril qu'elle m'a prescrit de prendre un bain et de me laver la tête à cause des punaises, des maladies et de la fumée des fritures, et à chaque fois qu'il m'arrivait d'aller à Palmela, je revoyais la fête de confirmation en Alentejo, les mêmes personnes, la même confusion, le même inconfort en dépit des meubles et des tableaux raisonnables, des porcelaines qui n'auraient pas été vilaines si elles n'avaient été recollées et des photos de Salazar et de la reine, en dépit des sonorités du piano, des miroirs prétentieux et du bataillon des servantes mal fagotées, un jour j'ai raconté à ma mère comment était le domaine et elle, sur le point de se rendre chez son masseur ou chez les Sœurs de la Charité
— Qu'est-ce que la demoiselle espérait de la part de péquenauds qui n'ont même pas un pauvre à eux ?
tandis que moi, chaque mercredi, j'avais un pauvre pour moi toute seule, un pauvre à qui on m'interdisait de donner de l'argent pour qu'il n'aille pas aussitôt le dépenser en eau-de-vie car c'est ce que font les pauvres dès qu'ils se voient avec le plus petit sou dans leur poche, je lui donnais seulement des chaussures et des vêtements qui ne servaient plus et les restes du dîner de la veille dont le vétérinaire disait que leur assaisonnement pouvait faire du mal aux chiens et leur ternir le poil, quand mon pauvre est mort de tuberculose dans la cabane où il habitait, sur une colline surplombant la mer, battue par le vent et semée d'herbes, de dépotoirs et de jolies fleurs blanches, j'ai remarqué que dans sa cabane il n'y avait pas d'électricité ni de lumière mais qu'en revanche il y avait un lustre pendu au plafond agitant ses pendeloques de verre, un canari dans une cage affairé autour d'une feuille de laitue, et un corps étendu sur le sol parmi un tas de guenilles immondes, avec un pull de mon frère Gonçalo, en guise de couverture, et après la mort de mon pauvre on m'a offert un autre pauvre plus jeune qui durerait plus longtemps, en bonne santé, ne toussant pas encore, baptisé et avec ses vaccinations à jour, garanti par monsieur le curé comme n'ayant pas de vice et comme étant incapable de me manquer de respect, mais que j'ai dû renvoyer le Noël suivant après m'être plainte aux Sœurs de la Charité de son manque d'éducation car j'avais commis la sottise de lui donner dix escudos en lui recommandant
— Tâchez à présent de ne pas dépenser tout cela en eau-de-vie
et lui de me répondre avec une impolitesse inouïe en tournant et retournant la pièce dans sa main
— Bien sûr que non mademoiselle bien sûr que non soyez tranquille car je vais de ce pas aller au garage acheter une Alfa Romeo
ce qui m'a permis de comprendre que les pauvres ne savent pas tenir à leur place, ou bien ils traînent une tuberculose et nous jettent leurs bacilles en plein visage, ou bien ils deviennent tout à fait odieux, enragés qu'ils sont d'être pauvres et d'habiter dans des cabanes de planches et de tôles en zinc sur un versant de colline au-dessus des vagues, avec le soleil faisant reluire la misère, des boîtes de conserve et les tessons éparpillés dans l'herbe, de sorte que jamais plus je n'ai voulu avoir un pauvre à moi, d'autant que j'ai déjà suffisamment de tracas dans la vie, les maladresses de la coiffeuse de chez qui je ressors avec une coupe mal taillée, et les bêtises des gosses avec la drogue, les gosses élevés par moi seule vu que João passait des semaines et des semaines au domaine de Palmela, lequel après le cauchemar de la révolution et la maladie de mon beau-père s'est mis à ressembler à un camp de Gitans, confiné dans le garage à construire un bateau, on ne comprend d'ailleurs pas pourquoi puisque il n'y a pas d'eau alentour, João qui, tant que nous avons vécu ensemble, était comme inexistant, il ne savait pas jouer au bridge, il ne savait pas choisir une cravate assortie à sa chemise, à partir d'une heure du matin il s'endormait la bouche béante au milieu des conversations alors même qu'on s'adressait à lui, et mes oncles si naïfs ou de si bonne foi uniquement parce que le père de João avait été ministre et avait reçu Salazar au domaine parmi les vaches et les hordes d'oiseaux, lui avait trouvé un poste au conseil fiscal de la banque où il se rendait à la fin du mois pour apposer sa signature et recevoir son chèque, jusqu'à une nuit où une de mes belles-sœurs m'a réveillée à grands cris comme si on l'étranglait
— Les Russes ont pris le Portugal Sofia si mademoiselle ne me croit pas qu'elle branche la radio (...) » 
Le manuel des inquisiteurs de António Lobo Antunes (Commentaire p.83-87) Christian Bourgois Editeur

1.11.09

(crise financière)*

*oxymore