et
le trouble à nouveau me saisit... en quoi consiste-t-il.
Il
faut croire que se tapit au tréfonds de ma conscience comme une
boule de transissement, fixe généralement, qui se meut en de rares
occasions mais tout à fait radicales, éveillant les remugles d'un
inépuisable questionnement. Ce matin la voici à nouveau bousculée.
Quel en est le déclencheur? Alain Badiou, philosophe, intellectuel
dont l'éclectisme des appétences séduit, communiste du
post communisme, excellent orateur (maître de rhétorique,
dois-je plutôt dire) sa voix de tribun prend, emporte même,
alors qu'il est invité d'Alain Finkielkraut dans Répliques
sur
France Culture. Et soudain, voici le nœud qui revient –mais là
discret car sans plus d'enjeu véritable– au plein de l'estomac, des
viscères qui se contractent insensiblement, une tête qui tourne
légèrement, me voilà encore chaviré par le tourbillon de
(mauvaise?) conscience qui habite -ainsi donc ma vie durant–
l'être que je suis et que j'étais déjà, observateur et
chroniqueur, naguère journaliste politique.
Pour
bien camper le mal profond qui me ronge, car je ne peux décidément
et d'un revers de main m'en exonérer, voici l'extrait entendu qui
déclenche. Alain Badiou parle de son
communisme
à l'occasion de la parution de sa "République
de Platon": Quelle
est la perspective unique aujourd'hui, vous me faites rire tout de
même... tout le monde sait bien que c'est économie de marché
et capitalisme déchaîné, et que au mieux la démocratie
parlementaire. Le couple de la démocratie parlementaire et du
capitalisme libéral est en réalité le paradigme unique à
l'échelle mondiale aujourd'hui. Donc si nous voulons sortir de ce
paradigme unique, qui est lui bien plus mondialisé que ne l'a
jamais été l'idée communiste, il faut évidemment proposer un
autre paradigme! La multiplicité commence par là et donc
j'estime être porteur de la démocratie pluraliste et donc quelque
chose de radicalement différent de ce qui domine, tandis que vous* vous proposez une fausse multiplicité –libéral, conservateur et
socialiste– ca veut réellement dire qu'on est fondamentalement
d'accord sur le cours des choses, et que après on va cultiver la
petite différence...
Alors
surgissent en désordre trois moments/événements/faits qui
s'enchevêtrent, extraits de ma mémoire complexe (compliquée dirait Blak) et revendiquée subjective bien entendu.
– Le congrès de
Valence du Parti Socialiste en octobre 1981, quelques mois après
l'arrivée de l'union de la gauche au pouvoir, Louis Mermaz
réclame les têtes de ceux qui s'opposent au changement, le
lendemain Paul Quillès est à la tribune –je suis juste en
dessous avec d'autres confrères dont je me souviens fort bien, Paul
Guilbert, Yvan Levaï et Catherine Nay entre autres– , et s'écrie
d'une voix stridente et forte, le bras tendu, vengeur : « Il
ne suffit pas de réclamer que des têtes doivent tomber... il faut
dire combien et surtout lesquelles! » Le même Louis
Mermaz dans l'avion qui nous ramène à Paris, discussion à bâtons
rompus avec les journalistes, assène en historiographe et vigile
statue du commandeur : « Le parti dit toujours la
vérité! »
– Le discours
prononcé à l'université d'Harvard par Alexandre Soljenitsyne et dont l'Express publie le texte in
extenso... remarquable, nous sommes en 1978. L'auteur de "L'archipel
du Goulag" effectue sa première grande sortie publique, secret
exilé dans son refuge de Cavendish (Vermont) depuis son
expulsion-bannissement d'URSS quatre ans auparavant. Et que dit
alors Soljenitsyne, il pourfend le matérialisme sans bornes des
sociétés démocratiques, et sa contrepartie, l'étiolement de la
spiritualité. En France, comme l'écrit l'Express (dont le directeur
Jean-Francois Revel prendra mordicus la défense du
célèbre dissident) «ce «moujik
mystique, ce prophète de malheur» ressort
la question du stalinisme et la gauche intello supporte mal qu'on lui
rappelle ce par quoi elle a péché. Les dissidents assermentés
persiflent.» Moi je perçois en substance,
à l'époque, le discours fleuve* de Harvard comme : Au
Goulag nous rêvions de Vous (de votre Liberté) et aujourd'hui...
(qu'en avez-Vous donc fait !).
– Mai-juin
1981 à la rédaction de Soir3. Nous ne sommes guère nombreux à
défendre un journalisme «objectif» (on se fourvoie
beaucoup dans les leçons de morale, je n'échappe pas à la règle),
D.Baudis –mais il partira vite vers d'autres horizons, politiques– G.Guicheney ou F.Buchi... bien peu en réalité et qui doivent
quotidiennement faire face au rouleau compresseur de l'idéologie
communiste mise en place avec la complicité active de militants fort
engagés comme E.Guibert, S.Moati, M.Seveno. Chaque jour ainsi, l'épuisant et inépuisable débat interne entre pluralisme et
objectivité. Je défends évidemment la seconde contre le premier,
qui ne consiste là qu'à répartir arbitrairement les temps de
parole entre journalistes supposés de bords différents!
Ainsi en l'occurrence, entre moi l'éditorialiste maison et M.Naudy tout frais débarqué du journal l'Humanité. Je tiendrai dix-huit
mois, ce qui est à la fois méritant (diront sous le couvert les
plus aimables) et beaucoup trop, de facto.
Ces
divers épisodes me reviennent donc, ils me laissent toujours autant
interrogatif à l'égard de moi-même et je me dis qu'à ce compte là, je ne tiendrai jamais ma
réponse. Toujours tiraillé entre une réelle compassion et une
rationalité issue de tant de strates, éducative, professionnelle,
sociologique. Un débat interminable, je ne prétendrai pas
aujourd'hui le trancher. Voici donc un blog qui a de l'avenir pour le
moins (j'espère pas pour le pire).
*s'adressant tout autant à l'interviewer qu'à l'autre invité, Jean-Francois Pradeau, philosophe également mais de facture plus libérale
**mais
tout était fleuve
chez Alexandre Soljenitsyne, ses discours, ses livres, ses
engagements
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