4.2.12

la goutte d'huile qui frappe le front


et le trouble à nouveau me saisit... en quoi consiste-t-il.
Il faut croire que se tapit au tréfonds de ma conscience comme une boule de transissement, fixe généralement, qui se meut en de rares occasions mais tout à fait radicales, éveillant les remugles d'un inépuisable questionnement. Ce matin la voici à nouveau bousculée. Quel en est le déclencheur? Alain Badiou, philosophe, intellectuel dont l'éclectisme des appétences séduit, communiste du post communisme, excellent orateur (maître de rhétorique, dois-je plutôt dire) sa voix de tribun prend, emporte même, alors qu'il est invité d'Alain Finkielkraut dans Répliques sur France Culture. Et soudain, voici le nœud qui revient –mais là discret car sans plus d'enjeu véritable– au plein de l'estomac, des viscères qui se contractent insensiblement, une tête qui tourne légèrement, me voilà encore chaviré par le tourbillon de (mauvaise?) conscience qui habite -ainsi donc ma vie durant– l'être que je suis et que j'étais déjà, observateur et chroniqueur, naguère journaliste politique.
Pour bien camper le mal profond qui me ronge, car je ne peux décidément et d'un revers de main m'en exonérer, voici l'extrait entendu qui déclenche. Alain Badiou parle de son communisme à l'occasion de la parution de sa "République de Platon": Quelle est la perspective unique aujourd'hui, vous me faites rire tout de même... tout le monde sait bien que c'est économie de marché et capitalisme déchaîné, et que au mieux la démocratie parlementaire. Le couple de la démocratie parlementaire et du capitalisme libéral est en réalité le paradigme unique à l'échelle mondiale aujourd'hui. Donc si nous voulons sortir de ce paradigme unique, qui est lui bien plus mondialisé que ne l'a jamais été l'idée communiste, il faut évidemment proposer un autre paradigme! La multiplicité commence par là et donc j'estime être porteur de la démocratie pluraliste et donc quelque chose de radicalement différent de ce qui domine, tandis que vous* vous proposez une fausse multiplicité –libéral, conservateur et socialiste– ca veut réellement dire qu'on est fondamentalement d'accord sur le cours des choses, et que après on va cultiver la petite différence...
Alors surgissent en désordre trois moments/événements/faits qui s'enchevêtrent, extraits de ma mémoire complexe (compliquée dirait Blak) et revendiquée subjective bien entendu.
– Le congrès de Valence du Parti Socialiste en octobre 1981, quelques mois après l'arrivée de l'union de la gauche au pouvoir, Louis Mermaz réclame les têtes de ceux qui s'opposent au changement, le lendemain Paul Quillès est à la tribune –je suis juste en dessous avec d'autres confrères dont je me souviens fort bien, Paul Guilbert, Yvan Levaï et Catherine Nay entre autres– , et s'écrie d'une voix stridente et forte, le bras tendu, vengeur : « Il ne suffit pas de réclamer que des têtes doivent tomber... il faut dire combien et surtout lesquelles! » Le même Louis Mermaz dans l'avion qui nous ramène à Paris, discussion à bâtons rompus avec les journalistes, assène en historiographe et vigile statue du commandeur : « Le parti dit toujours la vérité! »
– Le discours prononcé à l'université d'Harvard par Alexandre Soljenitsyne et dont l'Express publie le texte in extenso... remarquable, nous sommes en 1978. L'auteur de "L'archipel du Goulag" effectue sa première grande sortie publique, secret exilé dans son refuge de Cavendish (Vermont) depuis son expulsion-bannissement d'URSS quatre ans auparavant. Et que dit alors Soljenitsyne, il pourfend le matérialisme sans bornes des sociétés démocratiques, et sa contrepartie, l'étiolement de la spiritualité. En France, comme l'écrit l'Express (dont le directeur Jean-Francois Revel prendra mordicus la défense du célèbre dissident) «ce «moujik mystique, ce prophète de malheur» ressort la question du stalinisme et la gauche intello supporte mal qu'on lui rappelle ce par quoi elle a péché. Les dissidents assermentés persiflent.» Moi je perçois en substance, à l'époque, le discours fleuve* de Harvard comme : Au Goulag nous rêvions de Vous (de votre Liberté) et aujourd'hui...  (qu'en avez-Vous donc fait !).
– Mai-juin 1981 à la rédaction de Soir3. Nous ne sommes guère nombreux à défendre un journalisme «objectif» (on se fourvoie beaucoup dans les leçons de morale, je n'échappe pas à la règle), D.Baudis –mais il partira vite vers d'autres horizons, politiques– G.Guicheney ou F.Buchi... bien peu en réalité et qui doivent quotidiennement faire face au rouleau compresseur de l'idéologie communiste mise en place avec la complicité active de militants fort engagés comme E.Guibert, S.Moati, M.Seveno. Chaque jour ainsi, l'épuisant et inépuisable débat interne entre pluralisme et objectivité. Je défends évidemment la seconde contre le premier, qui ne consiste là qu'à répartir arbitrairement les temps de parole entre journalistes supposés de bords différents! Ainsi en l'occurrence, entre moi l'éditorialiste maison et M.Naudy tout frais débarqué du journal l'Humanité. Je tiendrai dix-huit mois, ce qui est à la fois méritant (diront sous le couvert les plus aimables) et beaucoup trop, de facto.
Ces divers épisodes me reviennent donc, ils me laissent toujours autant interrogatif à l'égard de moi-même et je me dis qu'à ce compte là, je ne tiendrai jamais ma réponse. Toujours tiraillé entre une réelle compassion et une rationalité issue de tant de strates, éducative, professionnelle, sociologique. Un débat interminable, je ne prétendrai pas aujourd'hui le trancher. Voici donc un blog qui a de l'avenir pour le moins (j'espère pas pour le pire).
*s'adressant tout autant à l'interviewer qu'à l'autre invité, Jean-Francois Pradeau, philosophe également mais de facture plus libérale
**mais tout était fleuve chez Alexandre Soljenitsyne, ses discours, ses livres, ses engagements

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