6.10.12

engagement


La patrie dans les ténèbres
« Ma poésie et ma vie ont couru comme un fleuve américain, comme un torrent du Chili, né dans la profondeur secrète des montagnes australes et dirigeant inlassablement vers une issue marine le mouvement de ses eaux. Ma poésie n'a rien rejeté de ce qu'a charrié son courant ; elle a accepté la passion, elle a développé le mystère, elle s'est frayée un chemin dans le cœur du peuple.
Mon destin a été de souffrir et de lutter, d'aimer et de chanter ; le triomphe et la défaite ont été mon lot en ce monde, et j'ai connu le goût du pain et j'ai connu le goût du sang. Que peut désirer d'autre un poète ? Toutes les alternatives, celles qui vont des larmes aux baisers, de la solitude à la chaleur populaire, durent et agissent dans ma poésie, car j'ai vécu pour elle et elle a nourri mes combats. Si j'ai reçu nombre de prix, des prix fugaces comme des papillons au pollen fugitif, j'ai obtenu un prix suprême, un prix que beaucoup dédaignent mais qui, en réalité, est pour beaucoup inaccessible. Je suis arrivé, au long d'une dure leçon d'esthétique et de recherche, à travers les labyrinthes de la parole écrite, à être le poète de mon peuple. C'est là ma récompense, et non les œuvres et les poèmes traduits ou les livres rédigés pour décrire ou disséquer mes mots. Ma récompense est ce moment grave de ma vie où, au fond du charbon de Lota, en plein soleil dans la salpêtrière ardente, un homme est monté de la fosse comme on remonte de l'enfer, le visage transformé par le travail terrible, les yeux rougis par la poussière et, me tendant sa main durcie, cette main qui porte la carte de la pampa dans ses cals et ses rides, m'a dit, les yeux brillants : « Il y a longtemps que je te connais, mon frère. » oui, c'est le laurier de ma poésie, ce trou dans la pampa redoutable, d'où sort un ouvrier à qui le vent, la nuit et les étoiles du Chili ont répété maintes et maintes fois : « Tu n'es pas seul ; il existe un poète qui pense à tes souffrances. »
J'adhérai au Parti Communiste le 15 juillet 1945. »
J'avoue que j'ai vécu, de Ricardo Neftali Reyes Basolato (Pablo Neruda)

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