26.3.12

un vote nécessaire

Je rends hommage à Ariane Mnouchkine pour la "maternité" du mot nécessaire, à telle enseigne que je lui offre humblement ce blog pour relayer la contribution qu'elle publie dans Télérama dans le souci de démultiplier une pensée qui me semble relever d'un principe d'hygiène publique et de la vigilance nécessaire en effet pour la défense de la dignité humaine, française notamment.

« Je me suis surprise à penser des pensées moches, tordues par l’angoisse :
— Pourvu que ce ne soit pas un arabe ! Pourvu que ce ne soit pas un Afghan ! Pourvu que ce ne soit pas un musulman. Pourvu que ce ne soit pas un immigré. Avec ou sans papiers. Pourvu, Oh pourvu, que cela soit un détraqué, ou s’il le faut absolument, une ordure bien de chez nous. Avec un nom bien français, européen à la rigueur. Pour que tout le monde se taise. Et pleure. Sans pouvoir lancer aucune insulte, aucun venin, aucune polémique, n’exhiber aucune prévisible, triomphante et immonde ironie. Pour qu’on se taise et pense à ces soldats, à ces enfants. Catholique, musulmans, juifs. Soldats, tout court. Enfants, tout court. Mais où en est donc mon beau et triste pays pour que, lors d’un événement aussi grave, moi, je me détourne ne serait-ce qu’un instant du temps sacré de la compassion et que j’en arrive à penser : « Pourvu que cet abruti, cet intoxiqué, ne soit pas ceci ou cela ».

Je dois écrire quelque chose sur cette campagne. Télérama, très amicalement me le demande. J’ai dit oui. Il y a longtemps. Depuis des jours et des jours je tourne autour de mon papier. J’aimerais tant écrire avec hauteur de vue, modération, tempérance. Assumer la complexité de ce moment de l’Histoire. Trouver des solutions nouvelles. Eclairer. Ne pas ajouter du vide au vide. Des mots à des mots. Si seulement, comme certains, j’étais désabusée, je pourrais paraître plus sage, plus éclairée. Or je suis morte de trouille et je suffoque de colère. Pas bonne conseillère la colère. Ni la peur. Attention à ce que je peux dire. Pas d’inexactitude. Pas de vulgarité. Pas d’emballement.

Mais après tout, que puis-je dire d’autre que ce que, chaque matin, je ressens en suivant, obsessionnellement, de l’étranger où je suis, les nouvelles de cette terrible campagne, où chaque jour le pouvoir en place se prétend le seul propriétaire légitime de l’Etat. Où, paraît-il, si le verdict des urnes ne plaisait pas au clan régnant, c’est que les élections auraient été confisquées, volées. Bref, où la gauche, même la plus raisonnable, pour ne pas dire la plus minimaliste, ne pourrait prétendre à l’alternance que par effraction. Alors, sans fioriture, je vais dire où j’en suis, moi. Je n’attends aucune approbation. Je récolterai probablement le contraire de la part de certains de mes amis.


Voilà :
J’ai 73 ans. Je n’ai plus le temps. Plus le temps de perdre. Je ne veux pas faire encore un tour de droite. Pour le dire autrement, je ne veux pas passer mon tour, encore une fois, comme je l’ai fait en 2007, parce que certains, à gauche, au Parti socialiste même, ou tout à côté du Parti socialiste, faisaient la fine bouche. 

« Je ne me sentais pas », avouent maintenant ou se vantent certains ou certaines. Et bien, moi, voyez-vous, je ne me sens pas d’aller encore une fois me promener dans les bois pour voir si le loup n’y est pas. Il y est, je le sais ! Et puis je ne veux plus avoir honte. Voilà cinq ans que cette « équipe » me fait honte. Chez nous, et ailleurs. Et ailleurs, où je suis en ce moment, on ne se gêne pas pour écrire fort ce qu’à peine on chuchote chez nous.

(Là il manque un paragraphe sur les hontes. J’y ai renoncé. Il y en avait trop.)
« Les Français parlent aux Français » Pom Pom Pom Poooom ! 
Il en est parmi vous qui se souviennent. D’autres parmi nous qui ont appris de quoi je parle. Comme moi ils l’ont reçu en héritage. D’autres sont trop jeunes. Eh bien, qu’on les renseigne ! Mais il est temps, oui, il est temps que les Français reparlent aux Français. Tous les français. De souche, de rameaux, de fleurs, ou simplement de cœur, de langue, d’espoir.
Pour changer la France et l’Europe, il va falloir nous parler. En français, en bon et beau français et dans toutes les langues d’Europe. Oui, les peuples d’Europe vont devoir reprendre la parole qu’on leur a volée. Car la confiscation c’est là qu’elle est ! Pas ailleurs.
Donc il faut gagner. D’abord gagner. Et pour gagner il faut voter. Il faut voter. Il faut voter. Il faut voter. Vous n’aimez pas le mot « utile » ? Alors je vous propose le mot « nécessaire ». Le vote nécessaire. Ce qui implique, je vous l’accorde, qu’il n’est pas suffisant. Seulement indispensable. Après il y aura les législatives. Plus ouvertes, plus précises de choix, mais pas suffisantes non plus, les législatives. Aucun vote n’est suffisant. Seulement nécessaire. Indispensable. On meurt encore dans le monde, en ce moment même, pour arracher le droit de vote. Alors ? Après ? 
Après, il y a l’action, le travail d’information limpide, la pression populaire. Après il y a nous, les citoyens solidaires, qui devrons ouvrir grandes les portes capitonnées des salons de Bruxelles, ces salons aux lourds rideaux, où nos dirigeants acoquinés, bien à l’abri des regards et donc de la compréhension des peuples et de leur accord, décident de tout sans nous demander rien.

Oui, il faudra tout revoir : le statut de la Banque centrale européenne qui doit refinancer les dettes publiques et non enrichir les banques spéculatrices. Oui, je sais, il n'est pas du pouvoir du président élu d'imposer à la BCE de racheter les dettes publiques, car cet interdit figure dans les traités, et bien justement, la première bonne mesure (réaliste) consistera à organiser un référendum sur  le nouveau TSCG (Traité pour la stabilité, la croissance et la gouvernance), dit aussi « pacte budgétaire » instaurant la « règle d'or » budgétaire limitant les déficits à 0,5% .

Un tel référendum outre ses vertus pédagogiques — il faudra susciter un long débat démocratique sur l'Europe telle qu’elle est et telle qu’elle devra être — donnera un fort mandat au président français pour renégocier les traités dont, en tout premier lieu, le Traité de Lisbonne honteusement signé dans le dos du peuple qui l’avait déjà refusé par un référendum incontestable.

Je ne suis pas « réaliste»  ? Ils le sont eux ? Ce sont eux les « courageux » ? Les raisonnables ? Qui livrent nos emplois, nos services publics, la protection sociale des peuples européens, à l’avidité insensée des actionnaires mondialisés ? 

La justice de la fiscal… « Halte à la spoliation ! », hurlent-ils déjà. La justice, n’en déplaise à certains, n’est pas spoliatrice, c’est l’injustice qui l’est. Il n’y a qu’à regarder autour de nous.

Des spoliés, il y en a plus de huit millions en France. 12% de la population. Plus de huit millions. Plus de la population totale de la Suisse. Ou de Kinshasa. Oui, Kinshasa dispersée à la surface de notre douce France. Alors, oui, les habitants de Kinshasa-en-France, eux, peuvent parler de spoliation. Il y en aura des choses à faire, à exiger, à obtenir. A détruire, ce qui est facile, à construire, ce qui est difficile. Il la faudra cette banque dont parlent les Economistes atterrés (1). Dont parlait déjà Ségolène Royal. Une grande banque publique pour le développement économique et social. « Impossible », répètent en ricanant les si savants propriétaires du pouvoir. Et pourquoi pas ? Au Brésil une telle banque existe, elle est financée sur une taxe annuelle, très légère, sur le chiffre d'affaire des entreprises ; en France cette taxe pourrait porter sur les profits ou les transactions financières. Un tel outil permettrait de sauver et de créer de nombreux emplois, certains de ces emplois engageant du même coup la reconversion écologique de l’économie de notre pays.

Il faudra donner aux salariés des droits sur les choix stratégiques de leurs entreprises. Ils sont les premiers concernés

Il faudra mettre en œuvre un salaire minimum européen. Il le faudra ce titanesque effort, ce New Deal, ce Nouveau Pacte, ce Nouveau Contrat, appelez cela comme vous voulez, ces programmes « rooseveltiens » axés sur des emplois d'utilité publique. Une partie d'entre eux devra porter sur la rénovation des banlieues. On fera d'une pierre deux coups : former au travail les jeunes de ces quartiers, en faire ainsi les premiers artisans de la rénovation de leur propre cadre de vie. Il va falloir. Il faudra. Il faudra.

Il le faudra, il le faudra à nouveau, ce combat de David contre Goliath. Qui ne commencera qu’après les élections. 

Mais pour le mener ce combat terrible, il faut d’abord gagner ces élections. Je voterai nécessaire. Je voterai indispensable. Je voterai Hollande. Parce qu’il faut gagner cette fois-ci et prendre la responsabilité de gouverner. La gauche radicale aura, d’ici là, conquis du terrain dans les sondages et probablement distancé le Front national dans les sondages, ce qui sera une très grande et très réjouissante chose. Elle pourra désormais, par le nombre de députés que sans aucun doute elle saura faire élire, avoir un groupe à l’Assemblée, et inspirer, éclairer, aiguillonner les propositions de l’exécutif, et stimuler les décisions du Parlement ce qui sera une très importante et précieuse chose.

En attendant, il faut gagner. Je voterai Hollande.  » 


Ariane Mnouchkine est née le 3 mars 1939. Metteur en scène de théâtre, elle a fondé le Théâtre du Soleil qu’elle continue d’animer.

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