19.3.12

Une vie intégrale est-elle encore possible

–  Ma famille (Hortense) n'a pas été directement touchée par les camps. Personne n'est mort là-bas si bien que je n'ai pas personnellement souffert du fait d'être juif. Ma famille était tout à fait assimilée, comme on dit. Il n'y avait pas de tabou particulier à la maison sur ce sujet. C'est plutôt politiquement que j'ai abordé tout cela lorsque j'ai finalement compris que le monde d'agglutinés où nous sommes était directement issu d'Auschwitz, et Hiroshima également. Le monde où nous vivons fonctionne comme les camps, dans la même fragmentation et le même refus de la responsabilité. 
–  Mais les gens ne sont pas déportés Samuel, ils ne sont pas transformés en abat-jour, en savons, on ne peut pas dire ça.
–  Ils ne sont pas déportés, non, ils ne sont pas transformés en savons mais sont devenus des marchandises plus ou moins rentables. L'ensemble du système fonctionne sur un rapport de rentabilité comme les camps. C'est là l'inconscient de notre monde. Cette industrialisation de la mort est un point de non-retour sur lequel s'est greffé l'industrialisation de la vie. A Auschwitz ils ont fabriqué des cadavres, ils ont supprimé la vie dans la mort, si bien qu'aujourd'hui c'est la mort elle-même qui est niée dans la vie et en même temps qu'elle est la vie dans la vie. C'est pourtant clair. A Auschwitz ils ont organisé, ils ont organisé le meurtre du langage et maintenant nous subissons le bruit assourdissant de la communication planétaire qui tend à nous faire oublier ce meurtre. Les mots ne portent plus leur sens. Les individus ne se parlent plus parce que le sens des mots a été contaminé à Auschwitz. Ce qui avait tenu de valeur aux individus jusqu'à Auschwitz a été anéanti là-bas.
–  Ce n'est pas vrai Samuel, ce n'est pas vrai. 
–  Tu ne veux pas l'entendre (Hortense), personne ne veut l'entendre. Les hommes aujourd'hui ne supportent plus d'appartenir à cette espèce qui n'a pas su empêcher Auschwitz. Ils veulent se débarrasser de l'humain, de l'humain dans l'espèce humaine. Ils ne savent plus ce qu'être un homme signifie. 

Extrait de Horsita (roman?) de Lorette Nobécourt*, publié en 1999. Il y a donc treize ans de cela, ce pourrait tout aussi bien être 2009 ou 2012, aussi sans doute 2019.
Lire et relire, antidote de la pauvreté d'une campagne présidentielle où l'on voudrait (tant) qu'elle soit exaltante, profonde, bouleversante, au sens des idées qui bouleversent, visionnaire oui, que l'on confond improprement avec prospective – que sait-on de l'avenir pour en prédire les arcanes (devrais-je plutôt parler de lames), lui qui pour se jouer de nos vanités déploie et replie constamment son œuvre, il ne nous attend pas, il est déjà là, avant nous. Je voudrais tant qu'il y ait ces emportements utopiques, I want a dream. Mais, la crise la crise la crise, bref le vide sidéral de la réflexion au profit de la réactivité brownienne : Prem ! C'est à qui dégainera le premier, défouraillera. Alors, dans ces temps de frustration intense – pour moi seulement, je ne veux gêner personne, pour moi seul bien entendu amoureux impénitent de la Politique comme résolution (diurne) de mes rêves (nocturnes), pour moi seul qui irai voter quoi qu'il en soit et qu'ils en soient, ne serait-ce que parce que si on me l'interdisait je me battrai à sang et à mort pour pouvoir en user de ce pouvoir là –, je lis beaucoup ces jours, découvrant dans les pensées coulées de l'encre heureusement sèche à nos regards avides et assoiffés, d'infinis horizons dans lesquels je ne cesse de (re)découvrir la simple Évidence : tout est lié et Relié, à la fois dans le temps et l'espace, avant, là et après, tout ici et tout là-bas, les interconnections humaines (pour ne s'en tenir qu'à cette dimension) innombrables ont de quoi rassasier les appétits les plus exigeants. Et si les « grandes questions » ne sont pas si nombreuses, elles extendent néanmoins leur champ illimité. Nous y fondre redonne espoir, rien n'est donc perdu définitivement. Mais si mais si.
Ayant déjà abordé ici ce sujet du choix électoral, j 'ajoute pour être tout à fait clair et au besoin transparent, que je vais voter François Hollande, finalement dès le premier tour. Pourtant... pas vraiment sexy, ni fulgurant, assurément ! Loin des vastes horizons, sans doute ! Pragmatique et raisonnable, trop certainement ! Mais qui s'interroge politiquement, c'est manifeste selon ma perception, sur « savoir ce qu'être un homme signifie » au XXI° siècle de notre ère humanoïde végétalisée. Instrumentalisée, si l'on préfère. Se réapproprier l'humain en nous, tâche individuelle d'abord, mais collective nécessairement et vitalement. L'individu ne représente-t-il pas à ses yeux "la puissance d'un collectif déployé". Hollande parle d'égalité comme socle et de justice comme référent premier. Or il peut les mettre en œuvre. C'est, ce sera toute la gravité de sa responsabilité. Car les comptes sont toujours faits, en définitive. Comme je dis souvent (répète, disent nos enfants) : ni châtiment, ni récompense, que des conséquences. On est loin des envolées lyriques... voilà bien pourtant une «posture» digne et équanime pour notre vieux pays. En l'occurrence et compte tenu de ce qui Est, ce serait déjà oui, révolutionnaire, au sens abouti de révolution. R-évolution. Rien que pour cela, ce qui implique pour tout cela, il aura ma voix et compte déjà mon soutien.

Dernier ouvrage paru (2011) «Grâce leur soit rendue», suite à la publication duquel l'auteur franchit finalement l'Arche de Roberto Bolaño à Blanès, au couchant.

Aucun commentaire: