29.7.12

Un amour le mors aux dents

AUTOPORTRAIT À VINGT ANS
(...) Alors,
malgré la peur, je me suis abandonné, j'ai collé ma joue
à la joue de la mort.
Et il m'a été impossible de fermer les yeux et de ne pas voir
cet étrange spectacle, étrange et lent,
et pourtant encastré dans une réalité effrénée :
des milliers de jeunes gens comme moi, glabres
ou barbus, mais latino-américains tous,
joue contre joue avec la mort.

RÉSURRECTION
La poésie, courageuse comme personne.* (...)
La poésie se glisse dans le rêve
pareille à un plongeur mort
dans l'oeil de Dieu.
(*à nouveau dans : LE VER : la poésie est courageuse comme personne)

LA FRANCAISE
La vieillesse pour elle c'était il y a trente ans,
La guerre de Trente Ans,
Les trente ans du Christ lorsqu'il a commencé à prêcher,
Un âge comme un autre, lui disais-je pendant que nous dînions
à la lueur des bougies
Contemplant le flux du fleuve le plus littéraire de la planète. (...)
Un amour qui n'allait pas durer longtemps
Mais qui finalement allait se révéler inoubliable.
C'est ce qu'elle a dit,
Assise à côté de la fenêtre,
Son visage suspendu dans le temps,
Ses lèvres : les lèvres d'une statue.

LE SINGE EXTÉRIEUR
(...) déployait
ses armes sous la caverne de Platon : images,
ombres sans substance, souveraineté du vide.

SALE, MAL HABILLÉ
Sur le chemin des chiens mon âme a trouvé
mon coeur. Brisé mais vivant, sale, mal habillé et plein d'amour.
Sur le chemins des chiens, là où personne ne peut aller.
(...) Jusqu'à ce qu'enfin mon âme trouve mon coeur.
Il était malade, c'est vrai, mais il était vivant.

LES DÉTECTIVES PERDUS
Et toi, tu ne peux même pas te rappeler
Où se trouvent la blessure.
Les visages qu'une fois tu as aimés,
La femme qui t'a sauvée la vie.

LE FANTÔME D'EDNA LIEBERMAN
Ses yeux sont le livre
le plus recherché.

DINO CAMPANA RÉVISE SA BIOGRAPHIE
DANS L'ASILE D'ALIÉNÉS DE CASTEL PULCI
J'ai entendu les avertissements et les alertes mais je
n'ai pas su les déchiffrer..
Ce n'était pas à moi qu'ils étaient destinés sinon à
ceux qui dormaient,
mais je n'ai pas su les déchiffrer.

PALINGÉNÉSIE
J'étais en pleine conversation avec Archibald
MacLeish dans le bar Los Marinos
De la Barceloneta lorsque je l'ai vue apparaître, une
statue de plâtre
Marchant avec difficulté sur les pavés. (...)
J'ai été d'accord avec lui sans
comprendre complètement ses paroles
Et j'ai fermé les yeux. À mon réveil, MacLeish était
parti. La statue
Était là, dans la rue, ses restes épars entre l'irrégulier
Trottoir et les vieux pavés. Le ciel, des heures
auparavant, était devenu
Noir comme une rancune indépassable. Il va
pleuvoir, a dit un enfant
Pieds nus, tremblant sans raison apparente. Nous
nous sommes regardés un moment :
Du doigt il a monté les morceaux de plâtre sur le
sol. De la neige, a-t-il dit.
Ne tremble pas, ai-je répondu, il ne va rien arriver,
le cauchemar, quoique proche,
Est passé sans presque nous toucher.

LE DERNIER CHANT D'AMOUR
DE PEDRO J. LASTARRIA,
ALIAS " EL CHORITO "
Ma vie a été une suite
D'occasions perdues,
Lecteur de Catulle en latin
J'ai à peine eu assez de courage pour prononcer
Sine qua non ou Ah hoc
À l'heure la plus amère
De ma vie. (...)
Moi aussi j'ai été élégant et généreux :
J'ai su apprécier les tempêtes,
Les gémissements de l'amour dans les baraques
Et le pleur des veuves,
Mais l'expérience est une escroquerie.

NI CRU NI CUIT
Comme qui tisonne dans un brasero éteint.
Comme qui remue les charbons et se souvient.
La Tempête de Shakespeare, mais une pluie sans fin.
Comme qui observe un brasero qui exhale des gaz toxiques
dans une grande pièce vide. (...)
Et La Tempête de Shakespeare
Ne faiblit pas dans cette île maudite.
Ah, comme qui remue les braises
et aspire à pleins poumons.

LES PAS DE PARRA
Le Chili est comme un couloir long et étroit
Sans issue apparente
(...)
La révolution s'appelle Atlantide
Et elle est féroce et infinie
Mais elle ne sert à rien.

LES CHIENS ROMANTIQUES
Et parfois je retournais en moi
et je rendais visite au rêve : statue qui s'éternise
en des pensées liquides,
un ver blanc qui se tord
dans l'amour.
Un amour le mors aux dents.

les chiens romantiques (extraits), Roberto Bolaño et Roberto Amutio pour la traduction de l'espagnol (Chili). Christian Bourgois éd.

1 commentaire:

blakschmit a dit…

Et toi, tu ne peux même pas te rappeler
Où se trouvent la blessure.
Les visages qu'une fois tu as aimés,
La femme qui t'a sauvée la vie.

ce livre lugubre parle de vous