Etienne Klein* est l'invité non autorisé
de AUDIENCE & RESONANCE pour sa brillante chronique faite aux
Matins de France Culture et qui porte pour titre :
vide quantique et paradis fiscaux
« Je voudrais vous parler aujourd’hui du vide quantique, qui me
servira ensuite de creuset métaphorique pour faire allusion – une
fois n’est pas coutume – à l’actualité politique.
On définit souvent le vide comme étant ce qui reste dans un
volume après qu'on en a extrait tout ce qui est possible : le
volume demeure, mais il n’y a plus rien à l’intérieur ;
l’espace a en quelque sorte été lavé de toute matière, on n’y
trouve plus le moindre atome.
Forts de cette définition, imaginons que nous puissions retirer
de l’intérieur d’une enceinte toutes les particules de matière
et de lumière qu’elle contient, sans la moindre exception, et
atteindre ainsi le vide parfait. Ce vide parfait se réduirait-il à
de l’espace pur ? À cette question, la physique quantique
répond : non, le vide n’est pas vide, il contient de
l’énergie, il est même rempli de ce qu’on pourrait appeler de
la matière fatiguée, de la matière « en état de
veilleuse ». Car au sein de cette enceinte où nous aurions
fait le vide avec la meilleure des pompes imaginables, demeureraient
des particules dites « virtuelles », c’est-à-dire des
particules bel et bien présentes mais qui n’existent pas
réellement… Elles ne possèdent pas assez d’énergie pour
pouvoir vraiment se matérialiser, elles n’ont pas l’intégralité
de leur mc2 si vous préférez, elles sont en dehors de leur « couche
de masse » et, de ce fait, elles ne sont pas directement
observables. Elles se trouvent en situation d’hibernation, dans une
sorte de sommeil ontologique ou d’ontologie endormie, je ne sais
quelle est la meilleure façon de dire. Pour les faire exister
vraiment, il faut leur donner l’énergie qui manque à leur pleine
incarnation.
C’est ce qui se passe quand deux particules provenant d’un
accélérateur de haute énergie entrent en collision. Elles offrent
leur énergie au vide quantique, et du coup, les particules
virtuelles qu’il contenait deviennent réelles et s’échappent
hors de leur repaire (je n’ose pas dire hors de leur exil, car ce
terme est désormais fiscalement connoté). Le vide soudain se
réchauffe et les particules qui y étaient endormies retrouvent la
vitalité qu’elles avaient dans l’univers primordial. Finalement,
un grand collisionneur de particules comme le LHC n’est jamais
qu’une machine servant à chauffer le vide…
Mais pour que vous compreniez mieux ce qu’est ce vide quantique
qui n’est pas du tout vide mais qui est tout à fait quantique, il
faut que je vous explique un peu mieux les choses.
Un système physique, par exemple une particule, se définit par
un certain nombre de propriétés identiques pour tous les systèmes
du même type. Ainsi, si je prends comme système un électron, je
peux dire tous les électrons ont rigoureusement la même masse et la
même charge électrique. Mais en plus de ces propriétés
universelles, les électrons ont des propriétés qui, elles, peuvent
varier de l'un à l'autre : leur énergie, pour commencer, ou
bien la direction de leur spin. L'ensemble de ces quantités définit
ce qu'on appelle « l’état » de la particule. On le
représente par un « champ », un « champ
quantique », qui est une fonction de l’espace et du temps.
Ces « champs quantiques » ont la propriété de
s'étendre dans tout l'espace et surtout, ils ne peuvent pas
s’annuler partout en même temps. En clair, à un instant donné,
un champ quantique n’est jamais égal à zéro dans tout l’espace.
Tout se passe donc comme si les champs quantiques étaient collés à
l’espace, d’une façon impossible à défaire. Cela veut dire que
même quand on fait le vide, ils sont encore et toujours là.
Prenons comme système un électron. La physique quantique le
décrit par un champ électronique qui a la propriété, disent les
équations, d'être « toujours là », même quand aucun
électron n’est présent en chair et en os : il est absolument
impossible de le faire disparaître, tout comme il est impossible
d’extraire l’énergie qu’il contient. Dès lors, le vide ne
peut plus être considéré comme ce qui reste lorsqu'on a enlevé le
champ (puisque cette opération est impossible), mais comme un état
particulier du champ, un état qu’on appelle l’état
« fondamental » car le système ne peut pas avoir une
énergie plus petite que celle qu’il possède lorsqu’il se trouve
dans cet état.
Tout cela est intéressant d’un point de vue philosophique. Car
s’il n'y a plus de distinction formelle entre le vide et les autres
états, il devient impossible de lui donner un statut réellement à
part : il n’est plus un espace pur, encore moins un néant où
rien ne se passe, mais un océan rempli de particules virtuelles
capables, dans certaines circonstances, d'accéder à l'existence. Le
vide apparaît ainsi comme l’état de base de la matière, celui
qui contient sa potentialité d’existence et dont elle émerge sans
jamais couper son cordon ombilical. Matière et vide se retrouvent
liés de façon insécable.
Pourquoi est-ce que je vous raconte cela ? A cause de
l’actualité politique.
Parce qui si vous m’avez bien écouté, Alain, vous avez compris
qu’au prix d’un petit déménagement conceptuel, ce que je viens
de dire du vide quantique pourrait s’appliquer aux paradis fiscaux,
dont on a trop souvent dit qu’ils étaient des trous noirs, ce qui
n’est pas la meilleure comparaison : à mon avis, les paradis
fiscaux, truffés d’euros virtuels jusqu’à la glotte, sont
plutôt à l’économie réelle ce que le vide quantique est à la
matière concrète. Je viens de vous expliquer que si on met de
l’énergie dans le vide quantique, on en fait sortir des
particules. Eh bien mon petit doigt me souffle que si on mettait un
peu plus d’énergie à fouiller les paradis fiscaux, on pourrait en
extraire des ressources en transformant des euros virtuels en euros
réels. Par les temps qui courent, ce ne serait pas du luxe pour nos
démocraties qui sont à la fois endettées et bafouées par les
cyniques.
A propos, Alain, et pour en finir, connaissez-vous l’anagramme
de « la Crise économique » ? C’est « le scénario
comique »… Je ne l’aime pas beaucoup, cette anagramme, car
elle contredit la réalité, qui est douloureuse pour beaucoup de
gens. Et il y a des jours où elle contredit la réalité encore plus
que d’habitude… »
*Etienne Klein est physicien,
professeur à l'Ecole centrale à Paris et directeur du laboratoire
de recherche sur les sciences de la matière au CEA (Commissariat
d’Energie Atomique), docteur en philosophie des sciences,
spécialiste du temps.
Il a publié plusieurs essais sur la
physique et la question du temps, notamment :
- Il était sept fois la révolution.
Albert Einstein et les autres…, Paris, Flammarion, 2005 ;
coll. « Champs », 2007.
- Le facteur temps ne sonne jamais
deux fois, Paris, Flammarion, coll. « NBS », 2007 ;
coll. « Champs », 2009.
- Galilée et les Indiens.
Allons-nous liquider la science ?, Paris, Flammarion, coll.
« Café Voltaire », 2008.
- Discours sur l’origine de
l’univers, Paris, Flammarion, coll. « NBS », 2010.
- « Anagrammes renversantes ou
le sens caché du monde (avec Jacques Perry-Salkow), Paris,
Flammarion, novembre 2011.
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