2.4.13

transmission prédation

« Freud cita à quatre reprises un mot de Goethe. Was du ererbt von deinen Vätern hust erwib es um es zu besitzenCe que tu as hérité de tes pères, acquiers-le pour le posséderPour en éprouver toute la jouissance, tu dois dérober ce qui est à toi. Mange entièrement ton ancêtre. Tout ce que tu as, mets la main dessus. Deviens toi-même pour jouir puisqu'en jouissant tu jouis de ta source.
Traduire, trépasser, transir.
Le problème n'est pas de transmission mais de prédation.
(…)
Nous commençons par manger nos mères dans leur ventre puis, sortis de leur sexe, criant, nous les mangeons dans leur lait. Nous dérobons leur langue à partir de leur regard, l'étalonnant à la moue de leurs lèvres. Nous inventons le sens en échangeant des sourires. S'instruire c'est sucer les os des cadavres, les trouer, souffler dans la mort.
C'est parasiter les ruines des leurres. Nous sommes tous des voleurs. Nous sommes tous des clandestins. Il n'y a pas un centimètre carré de la nature que l'homme puisse revendiquer comme un territoire attribué. Nous sommes tous fous et quand nous ne le sommes pas nous sommes imaginaires; nous vivons entourés d'hallucinations qui trompent mal la carence ou l'absence; et le sens que nous procurons à tout ce que nous pouvons vivre est ce qui reste de la face d'une mère passée dans la mort. Nous sommes tous précaires et désynchronisés; nous commençons en avance; nous mourrons tous avant de mûrir.

L'originaire est invisible.
Les vrais messages transitent dans les corps à l'insu de ceux qui les échangent. »

Ces quelques phrases sont extraites d'un magnifique texte de Pascal Quignard que la Revue de la Chartreuse a publié, il y a treize ans, sous le titre: On ne transmet que l'autre monde (Avignon, numéro spécial sur la Transmission, 20 mars 2000). Ce texte -comme la Revue?- est introuvable aujourd'hui. Nous devons à Leili Anvar de nous l'avoir publiquement donné à entendre, et personnellement transmis, qu'elle en soit ici vivement remerciée.


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