9.12.09

Irreversible

Extrait :
" (...) la clarté de Setúbal à travers les stores pareille à la lumière ambrée de la morgue où le Christ avec une tête de trafiquant de drogue mort d'overdose attend son autopsie sur le mur, les rideaux semblables à des tentures mortuaires, sur le marbre de la commode des boîtes et des brosses comme des os alignés pour l'examen du médecin légiste, ma femme s'affalant doucement comme une pieuvre s'endort, plongeant ses tentacules dans le sable des draps 
— Quel soulagement 
moi, craignant qu'elle ne me dévore, de m'habiller dare-dare avant qu'elle ne me demande dans son sommeil 
Tu ne me fais pas un bisou Luís ? 
et que je ne sois obligé de me couler jusqu'à cette chose flasque en chemisier à volants et de frotter mon menton sur un front enduit de crème hydratante, pendant qu'une paume visqueuse me pincerait l'oreille 
À ce soir Luís 
me rappelant une fille brune, boulotte, en train de m'enfiler une alliance au doigt sur la photo de l'album, j'ai fait chauffer du café dans la cuisine en priant pour qu'elle ne s'amène pas en chaussons histoire de m'aider à allumer le gaz, trouver le sucre, ouvrir le placard au-dessus du micro-ondes 
— Tu n'as jamais su où se trouvaient les tasses Luís
et de me quitter sous le porche en me gâchant la matinée avec son petit au revoir d'adolescente décrépie, j'ai traversé le jardin à pas feutrés, la cravate pendue autour du cou, j'ai fait les nœuds à mes lacets, j'ai sorti la voiture du garage non sans heurter comme toujours le mur avec le tuyau d'échappement, et là-dessus le rideau du salon de s'écarter dans une lenteur théâtrale
— Au revoir mon Luís
et de me voir arriver le soir à la maison, exténué par ma journée au cabinet avec des centaines de chiens qui aboient dans la salle d'attente, et d'avoir à la croiser dans le vestibule, frétillante d'enthousiasme, posant ses membres antérieurs sur ma poitrine, me léchant le menton avec une allégresse baveuse, d'avoir à la repousser des mains
— Couché
et après le riz au lait du dessert je la promenais autour du quartier par la laisse de son bras, prenant racine devant chaque vitrine de prêt-à-porter comme un tronc de platane, puis suivais le feuilleton brésilien, les infos, le lit où je l'entendais qui roucoulait des promesses sur l'oreiller
— Luís 
(...) " 
"Le Manuel des inquisiteurs" de António Lobo Antunes (Commentaire p.197-198) Christian Bourgois Editeur


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