17.12.09

Sens giratoire


Dans un référendum (France) ou une votation (Suisse), il est généralement demandé de répondre par oui ou par non. Une différence de taille est apparue néanmoins à l'occasion de la votation anti-minarets : le sens giratoire de la question.
Pour la constitution européeenne -dernière consultation officielle en date en France- nous avons eu à nous prononcer sur la question : êtes-vous pour ou contre la ratification du traité de constitution européenne etc ? Pour = Oui. Contre = Non. Même, pour le statut de La Poste -première votation officieuse en France- les citoyens mobilisés se prononcaient sur la question : êtes-vous pour ou contre le maintien du statut de La Poste etc ? Pour = Oui. Contre = Non.
En Suisse, à la question de la votation officielle (validée par le Conseil Fédéral) : êtes-vous pour la construction de minarets etc ? Pour = Non. Contre = Oui. Car la question était : êtes-vous favorables à l'interdiction de la construction etc ? Si fait que répondre OUI -signe sémantiquement considéré comme un acte Positif- revenait à INTERDIRE. Cette subtilité n'avait pas pourtant pas échappée aux autorités nationales et cantonales, et avait fait l'objet d'âpres débats dans les mois qui ont précédé la votation... Néanmoins la question fut agréée en l'état et donc posée de même ! Inversion de sens giratoire, trouble des esprits, confusion... ?
Je ne veux pas remettre en cause le résultat flagrant du vote. Flagrant, oui, et même peut-être pire. Car, imaginons, parmi ceux qui n'ont PAS pris part au vote, le nombre d'approbateurs tacites, genre « je ne m'en mêle pas... mais j'en pense pas moins ! » Courage bien d'chez nous, non ? francais, belge, suisse, bref francophone au sens très large... incluant nécessairement le Suisse Alémanique sans lequel le résultat...
Donc, de Suisse où je me trouve quelques jours*, je me faisais cette réflexion : Bien tordue la question, non ?
Mais aussitôt, par un esprit d'escalier que j'affectionne et qui est autant le reconnaître ma marque de fabrique la plus saillante (au sens équestre de saillie), j'extrapolais, me remémorant la lecture quelques jours auparavant d'un article sur « le pantalon de Lubna » (40 coups de fouet pour un pantalon, livre apparemment courageux de Lubna Ahmad al-Hussein) où il mentionné par l'auteur (de l'article**) que le port du pantalon est prohibé pour les femmes dans l'enceinte de l'université, au Soudan. Là en l'occurrence le campus de l'université de Khartoum. Et je n'ai pu m'empêcher de penser à l'interdiction du port du voile pour les jeunes filles dans l'enceinte de l'école, en France. Bien tordu mon esprit, non ? Car tout de même (!) l'interdiction française n'est pas assujettie à quarante coups de fouet, voire à la menace d'une lapidation en place publique. Dé-mo-cra-tie !
Oui oui oui, bien entendu... et pourtant je ne peux m'empêcher de faire un parrallèle et de m'interroger sur le fait (patent) suivant : la manière dont on pose le débat induit largement son orientation. Chacun voit midi à sa poste, Zurich-Paris-Khartoum... les décalages horaires méridiens ne sont pas seuls en cause, et pas davantage les degrés sur l'échelle démocratique - degrés au fait, Celcius ou Fahrenheit ?- il faudrait pourtant se mettre d'accord quand le même mot est employé (par exemple) par Georges W. Bush et Barack H. Obama... Tâche impossible reconnaissons-le. En « l'espèce », c'est tant mieux.
En France, « on » (l'establishment pour résumer grossièrement) se félicite que l'édiction de la loi sur le port du voile a très sensiblement réduit les risques de conflits dans l'enceinte scolaire publique. Sans doute, et aussi -notamment- accentué la déscolarisation d'un certain nombre de jeunes musulmanes. Mais, une fois le pansement couvrant aux chastes regards la plaie béante, s'avise-t-on bien de la douleur restante, des risques de gangrène et des multiples effets secondaires, rejet après greffe manquée, ressentiment de la parole non tenue et au final haine de l'intra-exclusion ? Ce ne sont pas les chefs d'établissements ou les proviseurs qui tireront désormais la sonnette d'alarme. Qui alors ? Quel est l'autre espace social d'intégration et de brassage existant ? Aucun, plus aucun.
Et puis, voilà que big bang boum, Diam's met le voile ! Oui, à qui se fier (I?) disent aussitôt avec surprise et force toutes celles qui, de Ni Putes Ni Soumises aux défenseures les plus ardentes de l'égalité féminine, fondaient hier encore sur la star du rap leurs sincères espoirs d'une démultiplication du 9-1 rebelle -et femme libre dans un univers passablement machiste- en une départementalisation contagieuse émancipatrice ! Faut-il reprendre à zéro le débat national ? Et au fait, en passant -puisque la bougeotte d'En-Haut nous impose son tempo frénétique- s'agit-il bien là d'Identité ? Tout est mouvant, aucune certitude, celle d'hier comme celle de demain. Alors...?
Alors voilà, pour remonter mon escalier avant de terminer, les termes du débat, quel qu'en soit le sujet, c'est bien l'essentiel. Autant (davantage?) que le débat lui-même, puisque cela Détermine : « parlons-nous bien, tous ensemble, de la même chose ? »
Donc, pour ajouter une (petite) pierre à l'édifice démocratique -sans cesse en construction quoiqu'on en pense et heureusement- la mise sur la table publique de toutes les données objectives et subjectives***, tenant compte de tous décalages (horaire, sociétal et coutumier) d'un débat où les citoyens sont appelés au final à se prononcer, est un condition préalable à l'exercice démocratique. Un bien au-delà du café du commerce, exercice bien d'chez nous, non ?

*référence à mon précédent post sur le sujet, je n'ai pas eu dilemne à interroger ici parmi mes amis (francophones) quant à leur vote, tant ils n'ont eu guère besoin de le préciser... suffit de voir leur tête pour comprendre : « ...et ce sont Nos Concitoyens qui ont fait Ca !! »
**Marie Lemonnier, envoyée spéciale à Khartoum, article paru dans le numéro 3349 du Nouvel Observateur (12-18 novembre 2009)
***subjectif, soit le sujet actif + principe de non précaution

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