14.1.10

Républicain

J'ai assez bien connu Philippe Seguin, dans la seconde partie des années 70. Il était la cheville ouvrière et la tête pensante des premiers Quadra (Longuet, Madelin, Toubon ...) qui allaient par la suite ferrailler - bien seuls à l'époque - à l'Assemblée Nationale (version Fort Alamo) aux premières heures de l'Union de la Gauche triomphante, tentant - non sans un certain succès, d'estime - de retenir avec leurs mains la marée législative rose-rouge. Il y eut ensuite la seconde vague des Rénovateurs, mieux inscrite dans les mémoires, celle enfantée sur les décombres (pour la droite, excepté Paris) des élections municipales de 1989 : Michel Noir, Alain Carignon, François Fillon, Michel Barnier, Dominique Baudis, François Bayrou... et Philippe Seguin. Ils étaient douze, au début ; et onze, avant la fin. Car déjà, l'Europe (Bayrou / Seguin) et de solitaires ambitions, Noir, Seguin, Baudis. Or, à onze, malgré les talents rassemblés, le compte n'était plus ! Manquait la (forte) tête pensante. Car Philippe, c'était vraiment un Intellectuel, au sens plein du terme. Il intellectualisait toutes les stratégies, les prises de position, les combats (externes, mais aussi internes à l'UDR de l'époque), les virages, les controverses... Je me souviens de tant de soirées souvent tardives, passées à discuter, analyser, recouper, dénoncer, s'ériger, pour retomber au petit matin... à la lueur infrarouge du réalisme diurne naissant. Intellectuel, mal aimé (encore que très aimé pourtant) et écorché vif. Et puis il eut son (r)appel de(à) Tunis... (Marrakech en fait), un éloignement, un non engagement (décisif) qui lui a beaucoup coûté par la suite. Il n'a pas été au bout, là non plus. À un moment donné, le compromis, la reconnaissance - oh combien chère à son cœur d'exilé perpétuel - la mesure, l'emportèrent sur le combat véritable sans armure ni parachute. Bien sûr, il eût des récompenses, des plaisirs même (sans doute), un grand ministère des affaires sociales, la cour des comptes, etc. Mais ce que moi j'ai senti, c'est que son heure de gloire fut vraiment ce combat à mains nues lors de la campagne référendaire européenne, dite référendum de Maastricht. Il prononçait Maastrik, comme d'autres avant lui Mittrand. Malgré la promiscuité de Pasqua et Villiers - parfois encombrants, souvent tonitruants - il devenait à force de travail (dossiers y compris) de clairvoyance et d'opiniâtreté, le chef de file du NON. Et il se trouva un jour "enfin" seul, face à face avec le Président ! David contre Goliath. J'ai immédiatement compris, au delà du calcul évident et de la nécessité conjoncturelle, que François Mitterrand était descendu dans l'arène aussi pour rendre hommage à ce combattant singulier. Il eût pu déléguer ce rôle à son Premier Ministre du moment... ou quelque autre thuriféraire. Mais non. Ce jour-là, il fut vraiment Président de plein exercice. Ne se substituant pas - par ailleurs et au quotidien - à son Premier Ministre (aucune confusion des rôles, alors) il n'hésita pas à aller au feu et risquer (mais oui) de se trouer la peau. La chair, la vraie chair politique, celle du sang et des larmes, celle du courage. Et ici, des deux côtés. Pour Philippe, ce 3 septembre 1992 fut son heure de gloire. Il brillait d'incandescence, de remerciement, d'orgueil, et aussi d'humilité. Là, Seguin fut le plus beau de nos Républicains. Et, sincèrement, je fus heureux pour lui... Moi qui votais OUI. Vive la République & So long Philippe !

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